Un conte "historique" sur la shoah

vendredi 20 février 2004
par  Jean-Claude ROLLAND
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Le contexte
En 2000-2001, j’ai suivi la classe depuis le CM1, le conseil de coopérative est déjà mis en place depuis l’année scolaire précédente.Un projet d’action de l’école autour du 20ème siècle, projet de spectacle de fin d’année avec la mise en place de chorales qui présenteront des chansons illustrant les moments marquants du siècle passé est présenté aux élèves.
Lors d’un conseil, un élève, lecteur de « Mon Quotidien » propose la participation de la coopérative à un concours d’écriture de nouvelle ou de roman. Proposition qui sera adoptée. Le projet d’écriture naît.
2001 marqua l’entrée dans le troisième millénaire. Le projet d’action de l’école autour du 20ème siècle conduit les maîtres du cycle 3 à choisir un roman de lecture suivie « Mon ami Frédéric » de Hans Peter Richter. Lors de travaux d’arts plastiques, les élèves découpèrent et collèrent des journaux, des documents sur le siècle passé, des images de guerre, des portraits de Philippe Pétain, d’Adolf Hitler, de Charles de Gaulle, …
Suite aux évènements au Proche-Orient et la reprise de l’Intifada [1], quelques actes anti-sémites eurent lieu en France, les élèves furent très sensibles aux images diffusées lors du meurtre par un soldat israélien du petit Mohamed, les réactions de quelques enfants à l’encontre d’une élève juive furent très mal acceptées.

En classe
La motivation des élèves est certaine, ils font de ce projet d’écriture d’album sur la guerre un élément important de la vie de classe, ils en parlent, en débattent régulièrement pendant les conseils. Tous les évènements extérieurs, les informations, les films à la télévision concernant les thèmes deviennent des sujets de discussions et de débats lors des « quoi de neuf ». Quelques livres documentaires, des recherches sur l’Internet, des documents photographiques sont apportés spontanément en classe. Un « coin ressource » est alors installé. Il est progressivement enrichi par des ouvrages documentaires et des albums prêtés par les bibliothèques municipales et empruntés à la Bibliothèque Centre Documentaire du groupe scolaire. Les élèves responsables de la bibliothèque de classe organisent un prêt.

L’entrée dans le projet d’écriture : le choix du héros
Lors de cette expérience, l’option a été prise d’entrer dans le projet d’écriture par le choix du thème et d’un héros.
Le héros de l’histoire créée fut un jeune garçon juif, Alfred, d’une douzaine d’années qui vivra son aventure pendant la guerre. L’histoire débuta avant l’invasion allemande en 1936 dans le nord de la France. Ses caractéristiques physiques furent choisies. Il fut décidé qu’il aimerait la lecture et l’athlétisme, qu’il participerait à des événements sportifs.

De la création du scénario à la « logique de l’enquête »
Afin de déterminer l’apparence physique du personnage principal, je demande donc aux élèves de le représenter graphiquement après que nous ayons décidé des caractéristiques telles son prénom, la couleur des cheveux, des yeux, la taille, sa force physique, la forme du visage, … Les premiers dessins, les premiers textes descriptifs voient le jour :
L’enfant juif, Alfred :

- il est vêtu comme un enfant d’aujourd’hui
- il est vêtu comme les juifs religieux qui vivent à Epinay et que les enfants croisent régulièrement : vêtements noirs, chapeau, gabardine sombre, papillotes …
- il est mat de peau , …
- il n’est pas français
- il porte une kippa [2], un taleth [3](dessin d’une élève juive)
- des textes parlent de nationalité juive, d’origine juive, de religion juive

Viennent alors les moments des premières confrontations, moments que la classe appelle « bilans » :

- un Juif ne peut pas être français
- les Juifs portent tous le même costume (référence aux Juifs religieux)
- les Juifs viennent tous d’Israël
- les Allemands n’aiment pas les Juifs
- ses vêtements doivent être vieux, usés

Lors de ces premiers moments, les confrontations et les débats entre les élèves montrent les confusions, les représentations erronées, à propos de l’origine, la religion, la nationalité ; à propos également des contextes historiques. Voir Article sur Religions, nationalités, origines

Le travail sur le scénario se poursuit.
Le scénario a quelques difficultés à voir le jour. Les élèves avaient conscience qu’il était nécessaire de présenter le personnage et sa famille, de présenter le contexte historique. Le héros traverserait la seconde guerre mondiale : les différents évènements du conte ne pouvaient pas s’appuyer strictement sur ce qu’ils connaissent à ce moment de l’année scolaire de la guerre.
Il fut alors décidé de commencer l’écriture et les illustrations bien que les connaissances historiques fussent insuffisantes.
Le personnage est décrit, sa famille, … Le héros subira le racisme, deviendra résistant, sa famille sera déportée, …
La question qui s’imposa à ce moment de l’écriture fut « Que savons-nous de cette période de l’histoire ? »
Les textes des enfants qui sont présentés après un travail de groupe lors d’un moment collectif montrent :
Pas ou peu de représentations de la période de 1936 à 1939. ; C’est avant la guerre
Hitler attaque la France ; Il était en guerre contre Israël. ; Des hommes ont résisté, on les appelait les Résistants ; Hitler n’aimait pas les Juifs ; Ils ont utilisé des armes modernes, des avions, des bombardiers, la bombe atomique contre les Japonais ; Les Américains ont débarqué en France

Les représentations des élèves présentées à l’ensemble de la classe provoquent des discussions, des débats sur le mode du débat scientifique. Les premières confrontations entre les représentations ou avec des documents lus par les élèves génèrent des besoins de documentation ; les élèves éprouvent le besoin d’enquêter.
Les connaissances existantes ou les représentations sur lesquelles pourront s’appuyer l’écriture sont insuffisantes. Il est donc décidé d’accumuler des connaissances en effectuant des recherches documentaires sur l’entre deux guerres et sur 1936. L’histoire et le scénario se construiront après l’accumulation de connaissances.

Vers la recherche historique
Le travail de recherches documentaires en histoire s’articule sur deux grands thèmes : 1936 et la seconde guerre, la Résistance. Je programme donc deux séquences (qui dureront plusieurs séances) d’histoire et de recherches dont les objectifs sont :
lire, décrire, questionner, analyser, faire une synthèse à partir de documents, utiliser différentes sources, concevoir une affiche informative, préparer, collecter, sélectionner, comprendre les documents, se les approprier puis produire, communiquer, s’expliquer, justifier, argumenter puis enfin estimer le produit fini et évaluer les stratégies.
Pour chacune des séquences, les modalités de travail sont des travaux de groupe suivis de bilans collectifs réguliers et régulateurs. Il s’agit pour chacun des groupes de construire et produire des textes afin de réaliser une affiche concernant un thème particulier en utilisant des documents fournis et le coin ressources documentaires de la classe. Ces affiches devront être suffisamment claires et lisibles pour qu’elles puissent ensuite servir de référents à la construction du scénario et aux apports historiques nécessaires pour rendre l’histoire cohérente avec le contexte.

Afin de permettre des confrontations nécessaires, je fournis aux élèves des documents contradictoires, des documents relevant de points de vue différents. Pour la période de 1936, par exemple des journaux de droite et de gauche, des articles antisémites, des débats entre patronat et syndicats, … sont proposés dans le lot de documents. Pour la seconde guerre mondiale et la Résistance, sont fournis « l’affiche rouge » sans que soit donné l’origine du document, des images et des textes valorisant l’image de Philippe Pétain, des photos de jeunes juives portant l’étoile jaune mais arborant un sourire heureux, une photo récente d’Oradour-sur-Glane, …
Les bilans des travaux de groupe font apparaître de nouvelles contradictions et des questionnements :
Quel rôle joue Pétain pendant la guerre ? Les hommes qui ont résisté sont-ils des terroristes ou des héros ? Pourquoi y a-t-il eu des massacres qui semblent ne pas avoir de raison ? Pourquoi les Allemands ont-ils fait porter une étoile jaune aux juifs ? Etaient-ils malheureux ? Pourquoi les Juifs se sont-ils laissés faire ? …

Les connaissances s’accumulant, les élèves s’imprégnant de la documentation et des ouvrages documentaires, le travail sur le scénario reprend.
Les groupes sont formés, l’écriture et l’illustration reprennent. Lors des bilans de présentation de l’avancée du travail de chaque groupe, les élèves interviennent si leurs représentations ou si une connaissance, un savoir sont en contradiction avec la production du groupe. Des questionnements naissent, ils permettent d’enrichir et d’affiner les textes.
Pourquoi le boulanger qui refuse du pain à Alfred est-il raciste ? Pourquoi n’aiment-ils pas les juifs ? Comment vit Alfred et sa famille (les élèves sont friands de détails) : comment était l’école en 36 ? Avaient-ils la télévision, la radio, … Dans quelle usine travaille le père d’Alfred ? Pourquoi son usine ferme-t-elle ? Recevait-il des indemnités chômage ? Où partent-ils en vacances ? Par qui sont payés les congés payés ? Pouvaient-ils avoir les congés payés s’ils étaient au chômage ? …
Les questions sont notées par les groupes concernés, ils informeront la classe lorsqu’une réponse plausible peut être donnée. Des comparaisons, des recherches de similitudes, de points communs, de différences avec le roman d’Hans Peter Richter sont faites par les élèves :
Alfred ne peut pas être obligé de porter l’étoile jaune à Paris en 1940, les moments où les lois apparaissent en Allemagne en France sont différents. Les Juifs allemands n’ont pas pu fuir comme les Juifs français.

Et l’horreur de la Shoah ?
Les travaux des groupes s’enrichissent progressivement, les textes sont souvent repris. L’outil informatique et le traitement de textes sont utilisés. Les tâches de réécritures sont facilitées : ajouts, déplacements, suppressions, remplacements, sans que les élèves ne se lassent : il est aisé d’insérer dans un texte une description, des informations historiques, des détails, des adjectifs, des compléments de circonstance, …
Tout au long des recherches les élèves se questionnent sur cette haine des Juifs et cette « solution finale ». Les manuels et les documentaires disponibles dans la classe abordent ce sujet, l’album « Otto » de Tommy Ungerer est régulièrement emprunté. Les questionnements surgissent : vers où partaient les Juifs déportés ? que leur arrivent-ils ? Est-ce que les gens savaient ? …
A ce moment du projet, je me demande si je dois apporter d’autres documents plus crus, si cela ne risque pas de choquer mes élèves, mais le besoin d’exprimer dans leur album ce qui arrive aux parents du héros est très fort. Alfred engagé dans l’armée va libérer les camps et il va savoir ce qui est survenu.
J’introduis donc dans le coin-ressource des documents et des photos des camps de concentration. Le groupe chargé de la description de la découverte des camps s’en saisit. Ils décriront de manière succincte les horreurs et laisseront parler le héros à la fin de l’album : « Lorsque l’armée entra dans le camp, nous trouvâmes des centaines de corps. Plus tard nous découvrîmes d’autres choses horribles, il y avait quelques survivants. Nous étions en train de pleurer en les aidant à se déplacer et en les soignant. Plus jamais je ne reverrai mes parents … »



[1En arabe : soulèvement. Soulèvement populaire et nationaliste des Palestiniens né à Gaza et en Cisjordanie à la fin de 1987. Reprise de cette « guerre des pierres » en 2000.

[2Calotte que portent les juifs pratiquants.

[3Châle dont les juifs se couvrent les épaules lorsqu’ils récitent les prières


Commentaires  Forum fermé

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projet conte sur la shoah
samedi 19 mars 2005 à 18h27 - par  Jean-Claude ROLLAND

Monsieur,
Actuellement professeur des écoles stagiaire, je dois au cours de mon année de PE2 fournir un dossier co-disciplinaire, qui permettent de mettre en résonance deux disciplines.
En l’occurrence, j’aimerai pouvoir développer un travail sur l’histoire de la Shoah, en relation avec le français (littérature de jeunesse notamment, communication orale …).
C’est pourquoi je suis très intéressée par le projet que vous avez développé en 2000-2001 avec la classe de CM1 et que j’ai découvert sur internet.
Vous serait-il possible de me faire parvenir des renseignements plus précis sur votre projet, afin de me permettre d’enrichir mon dossier et notamment sur toute la démarche de recherche historique : progression, documents ressources utilisés ?

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samedi 19 mars 2005 à 18h30 - par  Jean-Claude ROLLAND

Mon mémoire de cafipemf est en ligne et traite de créations d’albums historiques, donc de productions d’écrits avec des classes de CM et d’enseignement de l’histoire.
Vous trouverez également une bibliographie d’œuvres de littérature de jeunesse.