Le corbeau voulant imiter l’aigle

samedi 2 avril 2005
par  Philippe Rocher
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LE CORBEAU VOULANT IMITER L’AIGLE

L’oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l’affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
Il tourne à l’entour du troupeau,
Marque entre cent Moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton de sacrifice :
On l’avait réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard Corbeau disait, en le couvant des yeux :
« Je ne sais qui fut ta nourrice ;
Mais ton corps me paraît en merveilleux état :
Tu me serviras de pâture. »
Sur l’animal bêlant à ces mots il s’abat.
La moutonnière créature
Pesait plus qu’un fromage, outre que sa toison
Etait d’une épaisseur extrême,
Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphème.
Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite.
Le Berger vient, le prend, l’encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d’amusette.

Il faut se mesurer ; la conséquence est nette :
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L’exemple est un dangereux leurre
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ;
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

Jean de La Fontaine, Fables, Livre II, 16


SOURCE

Ésope : L’aigle, le choucas et le berger


Documents joints

Le corbeau voulant imiter l'aigle
Jean de La Fontaine, Fables, Livre II, 16