Une BD ... un coup de coeur !!

mercredi 23 novembre 2005
par  Jean-Claude ROLLAND
popularité : 9%

Joann Sfar auteur du "Chat du Rabin", de "petit vampire", ... publie dans une collection qu’il dirige chez Gallimard une BD "klezmer. Tome 1 Conquête de l’Est" à la fois désinvolte par le trait et émouvante, un pendant ashkénaze au chat du rabin séfarade.
Drôle, poignant, coloré, original, foisonnant, ironique, prolixe ... Bravo ...

Juste pour le plaisir, un thème de l’Amsterdam Klezmer Band, Limonchiki, un des morceaux préféré de Sfar ...

Je cite ici un extrait des notes de fin d’ouvrage, un texte à portée pédagogique.

Si je dessine « Klezmer » aujourd’hui, c’est sans doute parce que je suis né après Auschwitz et que j’ai grandi avec cette idée inquiétante : les idées humanistes et les utopies républicaines sont révocables à tout moment.

A quelle branche je me raccroche si ça recommence ?

Certains répondent « je file en Israël ». D’autres dont je suis préféreront brandir jusqu’à l’absurde le bouclier républicain.

N’empêche en Israël, il y des tanks à chaque coin de rue et en diaspora, il y a un car de police devant chaque synagogue. On nous habitue à l’idée qu’aller prier dans un temple juif nécessite aujourd’hui encore la bienveillance policière. Quant à l’état juif, il n’a survécu que par l’omniprésence d’une armée implacable. Et oublier qu’on est le petit fils d’un natif du shtetl ne va pas tous les jours de soi.

Alors même si on ne voulait pas de ces souvenirs, ils remontent comme le noir dont les ancêtres ont été esclaves il y très longtemps mais qui sent encore parfois les chaînes. Pas par paranoïa. Pas toujours pour des raisons légitimes. Il entend parfois le bruit des chaînes parce que certaines blessures mettent des siècles à cicatriser. Ça se transmet par le corps social, par le sang et les muscles aussi, on porte les angoisses des morts.

Mais ceux qui entendent instrumentaliser cette terreur héritée des ancêtres, qu’ils soient maudits.

Lorsque les instances communautaires juives organisent des cérémonies du souvenir, elles remplissent un devoir pédagogique essentiel. En revanche, lorsque des imbéciles sans conscience commencent une phrase avec Auschwitz et la terminent en fustigeant le terrorisme arabe, c’est une insulte aux victimes des camps. Parce qu’aussi abominable soit-il, le terrorisme aveugle ne doit jamais être comparé à Auschwitz. J’ai grandi en fréquentant un cours d’hébreu où l’on m’expliquait que les deux plus grands ennemis des juifs étaient Hitler et Arafat. Osent-ils se regarder dans un miroir, ceux qui comparent ? Elever un enfant dans la connaissance douloureuse de l’histoire de ses aïeux, c’est très souhaitable ; mais faire naître une rage folle en parlant des camps et trouver à cette colère une instrumentalisation dans le terrain politique contemporain, c’est fouler aux pieds la mémoire des morts.
Que l’Eternel se détourne de ceux qui utilisent l’histoire des gens dans tous les camps.

A l’occasion des commémorations du 8 mai 1945, la France a accepté pour la première fois de reparler à voix haute du soulèvement de Sétif, en Algérie. [...] Avant, [...] on n’en parlait pas, ou alors on disait pudiquement « les évènements » pour décrire le fait que l’armée française a massacré aveuglément quarante mille personnes pour leur faire expier cent meurtres de colons et des velléités d’indépendance. Honneur à la France qui regarde enfin son histoire en face.

Mais ça n’a pas loupé, [certains] en ont profité pour récupérer tout ça et se constituer en « indigènes de la République ». Et de répéter partout que la France se comporte aujourd’hui encore en puissance coloniale.

N’ont-ils aucun respect pour les innombrables victimes du mépris et de la brutalité coloniale ?

La France d’aujourd’hui n’est pas le pays de l’égalité des chances et le racisme y est une cruelle réalité. Mais venir beugler qu’elle n’a pas changé depuis les Colonies, c’est cracher sur le souvenir de ceux qui ont authentiquement subi l’impérialisme colonial.

La mémoire, ça ne sert pas à jouer les victimes ou à exiger des égards ou des réparations. Savoir est une fin en soi.

Ceux qui veulent que ça [leur] serve à quelque chose n’ont pas de conscience et méprisent leurs morts.

Joann SFAR,

in « Klezmer », Gallimard Jeunesse, Collection Bayou, Paris, 2005.



Commentaires  Forum fermé

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> Une BD ... un coup de coeur !!
jeudi 18 mai 2006 à 23h20 - par  Jean-Claude ROLLAND

Klezmer, Tome 2 « Bon anniversaire Scylla » est sorti. Vite, vite, chez vos libraires ...