Compétences, capacités, savoirs

jeudi 15 janvier 2004
par  Réseau Eppée
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René Amigues, Professeur des Universités, Sciences de l’Education propose en ligne sur le site de l’IUFM d’Aix quelques mises au point sur les notions de compétences, capacités et savoirs.
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Ces notions sont plus ou moins récentes. Celle de compétence, souvent utilisée dans le sens de capacité ou de savoir, est la plus récente et a connu, comme les autres, une évolution au fil du temps. Son sens varie selon les disciplines (linguistique, psychologie, éthologie...) et les usages qui en sont faits dans divers domaines : professionnel ou scolaire par exemple.

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Compétence

L’origine juridique (un tribunal est compétent ou pas pour juger une affaire), relativement ancienne, s’avère peu pertinente pour le domaine de l’éducation. En revanche, la notion de compétence issue de la grammaire générative de N. Chomsky (1969), bien plus proche de nous, a inspiré de nombreux travaux relatifs à la maîtrise de la langue, par exemple. La compétence désigne le système de règles intériorisé qui permet de comprendre et de produire un nombre infini de phrases inédites. Cette compétence grammaticale, à la fois innée et implicite, est partagée par tous les locuteurs appartenant à une même communauté linguistique et confère une dimension créatrice à la langue.

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Performance

La notion de compétence est proche de celle de langue chez Saussure, tandis que la notion de performance serait proche de celle de parole. La performance désigne la manifestation de la compétence des locuteurs et réfère à la diversité des actes de langage et des contextes d’énonciation et de communication. En psychologie le terme de performance désigne le comportement observable qui permet d’inférer les processus psychologiques qui le sous-tendent. D’une façon générale, la performance dans la réalisation d’une tâche dépend à la fois des contraintes de réalisation (matérielles, conceptuelles, sociales, temporelles...) et des capacités de l’individu.

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Capacité

Actuellement le terme de capacité n’est plus distingué de celui d’aptitude, par les psychologues (en France). Dans cette perspective, les compétences désignent les capacités ou l’efficience plus ou moins grande d’un individu à mobiliser des opérations mentales pour résoudre des problèmes ou maîtriser une classe de situations. Ces capacités, développées ou acquises, sont évaluées à l’aide de tests standardisés qui permettent d’ordonner des individus selon différentes dimensions. Cette notion véhicule un vieux débat scientifique et idéologique à la fois sur le caractère inné ou acquis des capacités et sur le caractère privé ou public de celles-ci. C’est à une conception individualiste et innéiste que s’oppose l’approche historico-culturelle pour laquelle les capacités cognitives, d’origine sociale, se développent par l’appropriation individuelle des systèmes de signes culturellement transmis.

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Contexte

La compétence désigne la capacité à réaliser de façon satisfaisante une tâche déterminée. Dans ces conditions, la définition de cette compétence s’accompagne nécessairement de la définition de la situation de mise en œuvre. Ce travail n’est toujours pas facile car il est peu aisé de décrire de façon précise et exhaustive l’ensemble des contraintes de réalisation et l’on sait qu’une légère modification de contexte peut affecter le niveau de compétence. Or, aussi bien les activités scolaires que les activités productives ne se réduisent pas à la réalisation d’une seule tâche. L’activité consiste généralement à réaliser plusieurs tâches simultanément. C’est la raison pour laquelle en ergonomie, par exemple, la modélisation des compétences demeure problématique car même les tâches les plus routinières mobilisent diverses capacités cognitives apprises ou développées en situation par les opérateurs. Il en va de même dans les situations de classe où les compétences exercées dépendent du contexte de pratiques sociales, des règles du jeu et des valeurs qui orientent et finalisent l’activité. Le contexte est considéré comme un champ d’interactions entre des dispositifs matériels, symboliques et sociaux qui sert de cadre pour penser l’action et lui donner une forme socialement acceptable. Ainsi les capacités mobilisées sont indissociablement liées au contexte cognitif et social de réalisation.
Dès lors deux types de questions se posent : d’abord, comment se fait-il, si l’on suppose que les compétences sont spécifiques aux tâches à réaliser, que persiste l’idée selon laquelle il existerait des "connaissances ou compétences générales", des "stratégies générales de résolution de problèmes" ou encore des "compétences transversales" ? De même que persiste solidement ancrée dans les croyances l’idée qu’un "transfert" d’un contexte à l’autre soit aisé alors qu’il est le plus souvent problématique. Même, les auteurs de méthodes de remédiation cognitive tempèrent leur enthousiasme initial en constatant l’étroitesse de cette zone de transfert à l’intérieur d’une même famille de tâches.
Se pose ensuite la question de l’évaluation des compétences : Comment évaluer une compétence autrement qu’en faisant exécuter la tâche ? Comment une même compétence peut-elle être à l’origine de niveaux de performance différents chez le même individu ? A quoi est dû l’écart éventuellement constaté : à la tâche, à l’élève ou au contexte ? Comment peut-on être sûr qu’une erreur ou une réponse ("bonne" ou "mauvaise" d’ailleurs) témoigne d’un fonctionnement cognitif correspondant au niveau de compétence requis ?
En matière d’enseignement, la question des compétences est rarement envisagée du point de vue du contexte : lieu où se construisent et s’actualisent les compétences. Les compétences sont davantage envisagées du point de vue de leur évaluation, indépendamment du contexte.

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Référentiel de compétences

Un référentiel de compétences présente un inventaire complet de compétences à réaliser dans des domaines d’actions prédéfinis. Il existe deux types de référentiels :

- Le référentiel de compétences professionnelles qui inventorie les domaines d’activités professionnelles et les compétences requises. Dans les années soixante dix ces "référentiels métier" ont inspiré d’abord l’organisation des programmes de l’enseignement technique, ensuite ils ont nourri les réflexions relatives aux programmes de biologie, de physique et de français. Actuellement, la réflexion concerne l’ensemble des disciplines scolaires. En ce qui concerne les enseignants, le Ministère a récemment publié des référentiels de compétences pour les professeurs des écoles et pour les professeurs de collèges et lycées. Ici la notion de compétence est liée à la question des nouvelles qualifications professionnelles auxquelles sont formés les futurs professeurs dans les IUFM.
- Le référentiel du diplôme assure une fonction certificative et permet d’évaluer au terme de la formation si l’étudiant est capable de mobiliser les compétences requises dans les domaines de référence définis. Utilisé pour les CAP, BEP, Bac professionnel, BTS le référentiel diplôme fait son apparition pour la validation de la formation des professeurs des écoles et des personnels préparant le certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d’adaptation et d’intégration scolaires (CAPSAIS).
D’une façon générale, en amont, les référentiels de compétences font l’objet d’une concertation entre divers degrés de la hiérarchie institutionnelle, lors de la conception. En aval, le rôle qui leur est dévolu est celui de "contrat de formation " qui doit s’instaurer entre les divers partenaires. Ils constituent enfin le fondement sur lequel s’appuie toute évaluation externe.

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Savoirs

On entend généralement par savoir le corps de connaissances historiquement élaboré, stabilisé et validé socialement. Ce corps de savoirs est constitué par l’ensemble des théories existantes ou des œuvres (littéraires, scientifiques, techniques, artistiques...) diffusées par diverses institutions, et en particulier par l’institution scolaire qui transmet les "classiques" (Racine, Molière, la loi de Mariotte, le principe d’Archimède, la structure de l’ADN, la théorie de la relativité...) et permet ainsi aux élèves d’instrumenter les éléments de cette culture. Ces savoirs ne peuvent être confondus ni avec l’information - matière première mise en forme et pouvant constituer le contenu d’un message ("il pleut")- ni avec les connaissances - ce que l’individu est appelé à construire en interagissant avec une situation ou un objet de savoir. La connaissance ainsi construite dépendra à la fois de ce que sait déjà le sujet sur la question et des contraintes de la situation. Ces connaissances sont relatives aux objets de savoir et aux conditions de leur élaboration.

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Savoirs scolaires

L’école transmet des savoirs enseignés qui ne sont ni des savoirs savants ni des savoirs simplifiés, mais des savoirs scolaires spécifiquement reconstruits pour être transmis. La théorie de la transposition didactique rend compte de ce processus de transition, de fabrication et de transmission de contenus scolaires. Les savoirs scolaires présentent une double spécificité. D’une part, l’École transmet des savoirs objectivés et socialement validés (voir supra) sous forme d’écriture. Le caractère scripturalisé de ces savoirs suscite une activité réflexive et normative sur les connaissances à apprendre. D’autre part ces savoirs sont dépersonnalisés et décontextualisés, car ils ont justement conquis leur autonomie et leur conservation par l’écriture. Aussi, leur transmission consiste-t-elle à procéder à une re-personnalisation et à une re-contextualisation. Les savoirs scolaires font nécessairement l’objet d’une "mise en scène" au sein d’un processus d’enseignement-apprentissage qui offrent un mode de questionnement particulier. Il en est ainsi du T.P. de physique, par exemple, où les connaissances sont mises en jeu dans le cadre d’une activité scientifique reconstituée.
L’usage des compétences par l’institution scolaire
Comme nous l’avons vu, l’institution scolaire se préoccupe davantage de l’évaluation des compétences que de leur contexte de mise en œuvre. Dans cette perspective elle propose un triptyque capacité-compétence-objectif qui permet de situer la notion de compétence. Chaque capacité est subdivisée en compétences, chacune d’elles est décomposée en objectifs, chacun d’eux correspondant à une tâche. Il s’agit ainsi de mesurer les savoir-faire de méthode afin de savoir si les élèves maîtrisent ou pas telle notion ou tel outil ; les connaissances et les savoirs ne faisant pas l’objet d’évaluation.
Ce découpage appelle trois remarques :
- Alors que pour les scientifiques la notion de compétence constitue une catégorie pour le moins floue ou mal définie, l’institution produit un "effet de réalité " : dès l’instant où elle peux nommer, répertorier, classer, mesurer des compétences, ces dernières existent et, de surcroît, elles existent sous une forme organisée. En effet, l’institution scolaire propose un ordre selon lequel ces compétences sont supposées se succéder et donc s’acquérir dans le cursus scolaire. Cette représentation quantitativiste des compétences ne correspond pas, ici non plus, aux conceptions scientifiques actuelles pour lesquelles les compétences cognitives se développent de façon relativement autonome les unes des autres et non selon un ordre chronologique déterminé ; travers l’apprentissage de contenus de savoirs particuliers et dans des situations de mise en œuvre (matérielle, symbolique, technique et sociale) variées ; sur une longue période de temps dépassant le temps de la scolarisation.
Pour l’institution scolaire, la compétence ne recouvre pas nécessairement les dimensions cognitives, il s’agit plutôt d’une notion construite afin d’assurer une gestion administrative du système éducatif et de redéfinir ses finalités.
- Fondée sur la pédagogie de maîtrise qui atteste si l’élève est compétent ou pas pour réaliser la performance attendue, l’évaluation se veut formative. C’est à dire que l’élève doit apprendre à maîtriser telle technique ou tel savoir-faire. La question qui se pose ici est celle de l’apprentissage du sens lorsque ce dernier est affranchi des connaissances et des savoirs. S’agit-il d’un apprentissage qui serait l’expression de capacités préexistantes et non d’un processus de construction de connaissances nouvelles ? N’est-on pas en train de ramener des processus d’apprentissage (comprendre, raisonner, inférer, déduire...) à des processus de traitement de l’information (coder, décoder, identifier, classer...) et à écraser l’apprentissage du sens au profit d’une pédagogie par objectifs ? La "Formation par l’information " actuellement prônée dans les lycées professionnels témoigne-t-elle d’une orientation actuellement dominante ou d’exigences intellectuelles différentes selon l’enseignement général, technique ou agricole ?
- La définition institutionnelle des compétences engendre des modifications curriculaires dont il conviendra d’apprécier l’importance. La question essentielle est de savoir si la perspective administrative et gestionnaire de la définition et de l’évaluation des compétences consiste à optimiser la mise en œuvre des programmes d’enseignement tels qu’ils existent ou si cette entreprise consiste à redéfinir les savoirs scolaires à l’image des qualifications professionnelles qui se re-dessinent actuellement ?
Ces questions sont d’importance. Elles ne se situent pas seulement au niveau du fonctionnement de l’institution scolaire et de l’évaluation de son efficacité. Elles concernent directement le rôle fondamental que joue l’école dans la transmission des savoirs auprès des élèves et comme lieu d’instrumentation de la culture par ces futurs citoyens.


René Amigues
Professeur des Universités, Sciences de l’Education.
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Commentaires  Forum fermé

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Compétences, capacités, savoirs
jeudi 14 mai 2009 à 11h13 - par  Mabon

Dans le cadre du mouvement universitaire, le Président de Paris VIII dans un article diffusé dans Libé a indiqué que l’université était un lieu de savoirs et non de compétences.
Maître de conférences mais avec un parcours de FC, j’ai du mal à comprendre et je crains que l’université plurielle se replie sur la seule notion de savoirs sans prendfe en compte (à nouveau) les VAP et VAE
Cordialement
Armelle Mabon