L’histoire au cycle 3.

Des situations problèmes en histoire.
dimanche 16 novembre 2003
par  Jean-Claude ROLLAND
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Choisir de faire évoluer les personnages d’un conte dans un contexte historique (voir album « j’étais esclave » publié avec la DAC d’Epinay) nous amène à nous demander ce qu’il en est de l’enseignement de l’histoire au cycle 3.

Entre les grands historiens grecs et ceux du XVIIe siècles, l’histoire est une collection de faits, de dates et d’anecdotes. Toutefois des conceptions plus larges ont pu voir le jour. Machiavel (XVIe s.) par exemple donne à l’histoire une dimension politique. L’histoire devient ensuite souvent restreinte à l’histoire politique et à celle de l’élite, la seule qui laisse des traces écrites. Contre ce positivisme, apparaît les courants d’histoire sociale globale, sous l’effet du développement du marxisme. Aujourd’hui la recherche d’informations statistiques permettrait de construire une histoire qui ne soit plus seulement celle des vainqueurs.

Le mot d’histoire désigne aussi bien ce qui est arrivé que le récit de ce qui est arrivé ; l’histoire est donc, soit une suite d’événements, soit le récit de cette suite d’événements. Ceux-ci sont réellement arrivés : l’histoire est récit d’événements vrais, par opposition au roman, par exemple. Par cette norme de vérité, l’histoire, comme discipline, s’apparente à la science ; elle est une activité de connaissance.

Toutefois l’histoire s’oppose à la science, si l’on prend ce mot en un sens étroit et si on le réserve à des disciplines telles que la physique ou l’analyse économique ; en effet, l’histoire est connaissance d’événements, c’est-à-dire de faits, alors que la science est connaissance des lois qui régissent les faits. La physique établit la loi de la chute des corps ; si un historien s’occupait de corps qui tombent, ce serait pour raconter des chutes. Il en ressort que l’opposition qu’on établit trop souvent entre les faits historiques, qui seraient « ce que jamais on ne verra deux fois », et les faits physiques, qui se répéteraient, est erronée ; un « fait » physique (la chute de telle feuille de tel arbre) est non moins unique, dans l’espace et le temps, qu’un fait « historique » (la chute de tel empereur) : il n’est pas moins historique que ce dernier. La véritable différence n’est pas entre les faits, mais entre les disciplines : la connaissance historique est un corps de faits et la science est un corps de lois. [1]

« Ils ne connaissent pas leur dates ! » ; « Ils apprennent mal les résumés ! » ; « Ils ne retiennent que les anecdotes » ; ces plaintes si souvent entendues en salle des maîtres sont bel et bien des symptômes qui montreraient que l’histoire est enseignée sur le mode de la transmission des savoirs : il ne suffirait donc pas de présenter aux élèves un récit magistral historique, de lire quelques documents ou pages de manuel, de leur fournir une chronologie et un résumé à apprendre ? Il s’agit plus d’instaurer un rapport actif et citoyen à l’histoire qu’un rapport passif à un patrimoine lointain et détaché des préoccupations de nos élèves.

L’histoire récit est un produit fini qui a ses limites et dont la construction a été faite par les chercheurs et les historiens, si seul ce produit fini est présenté aux élèves quelle peut donc être leur part d’action ? La recherche historique est un processus de questionnements, d’interrogations, d’erreurs, de contradictions.

Doit-on enseigner un produit fini variant selon les exigences idéologiques du moment ou une démarche, proche de celle des historiens confrontés aux différents points de vue ? Du Guesclin est-il le personnage positif de la lutte contre les Anglais ou un traître à la Bretagne, un collaborateur des rois de France ? Les Barbares, ces étrangers, cruels et féroces ne sont-ils pas aussi ceux qui ont fait cesser chez les Romains les jeux du cirque et les combats de gladiateurs alors que par tradition, les Chrétiens eux-mêmes ont conservé pour un temps les exécutions publiques ?

« Alors que le rapport passé -> présent est fondé sur le silence, l’occultation, le cloisonnement, le non-dit, le rapport inverse présent -> passé, doit être explicité, dit au grand jour, et donc politisé.

Inverser le rapport passé-présent, c’est aussi, bien souvent, inverser les signes, renverser les conventions courantes sur la signification et la portée de tel fait. »  [2]

C’est ce que propose Alain Dalongeville [3] dans ses situations problèmes lorsqu’il fait, par exemple, opposer par les élèves les points de vue esclavagiste et anti-esclavagiste afin qu’ils confrontent leurs positions et s’expliquent en fournissant leurs arguments.

Il s’agit là d’un travail de mémoire et non plus d’un devoir de mémoire. Ce n’est plus le passé qui donne des leçons au citoyen d’aujourd’hui mais le présent qui pose les questions. Aussi, est-il nécessaire que les questionnements du présent sur le passé aient un sens pour l’élève, qu’ils lui soient utiles dans son projet, qu’ils fassent partie de ses centres d’intérêts.


[1Veyne Paul, professeur au collège de France, CD-Rom Universalis 3.0

[2Chesneaux Jean, Du passé faisons table rase ?,Maspero, 1976

[3Dalongeville Alain, Situations-problèmes pour enseigner l’histoire au cycle 3, Hachette, 2000