Pratiques évaluatives à l’école élémentaire

les livrets ?
dimanche 12 février 2006
par  Jean-Claude ROLLAND
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uelles problématiques soulèvent les pratiques évaluatives des enseignants ? Comment mettre en cohérence ces pratiques quotidiennes d’évaluation avec les différentes préoccupations de communication et d’information aux élèves, aux familles, aux maîtres du cycle, au collège ?

Depuis la parution du décret du 6 septembre 1990 et de la circulaire du 29 mars 2005 concernant le livret scolaire, nombre d’équipes pédagogiques et de conseils de cycle se sont engagés dans des travaux de réflexion et de production d’outils évaluatifs à la fois à destination des maîtres et des familles de nos élèves ...

Des outils nombreux, variés, certains simplifiés à l’extrême reprenant quelques champs disciplinaires, d’autres complexes et englobant l’ensemble des compétences attendues en fin d’année scolaire ou en fin de cycle, ont été produits. Chaque maître pouvant adapter ces documents à sa classe, son niveau, aura ajusté la liste des compétences, aura reconstruit les tableaux de compétences pour y adjoindre selon ses besoins, appréciations, lettres, notes, ...
De fait, au regard des différents documents que nous avons pu voir et étudier, il peut apparaître que des documents très différents par la forme, voire par l’esprit peuvent être utilisés dans un même niveau de la même école, dans un même cycle et dans une même école.
Cette diversité, avec à la fois la richesse qu’elle peut apporter et la confusion qu’elle peut engendrer, ne permet pas réellement, en particulier lors des commissions d’harmonisation d’entrée au collège, de se faire une idée précise des compétences acquises par un élève de CM2.

Les équipes pédagogiques, insatisfaites, sont aujourd’hui en recherche de cohérence, que ce soit dans un même niveau du cycle, dans le cycle lui-même, dans l’école, dans le REP constitué des écoles alimentant un collège en particulier, voire, enfin, sur l’ensemble des école d’une circonscription.

Paradoxalement, alors que cette confusion et ces incohérences apparaissent de plus en plus flagrantes, des outils, référentiels de compétences, soit nationaux, soit académiques, soit départementaux ou même locaux se multiplient évaluant des champs de plus en plus vastes : B2i, tests natation, document "passerelle" concernant l’enseignement des langues vivantes, attestation de première éducation à la route, ... Ajoutant peut-être à la confusion ...

De la même façon, les évaluations diagnostiques jalonnent le curriculum scolaire de nos élèves : GS/CP, CE1, CE2, 6ème, Sciences, ... Ces outils permettant d’ajuster nos enseignements participent d’une culture, certes commune de l’évaluation des acquis et des compétences de nos élèves mais multiple, souvent perçue comme lourde et inutile.

De plus, chaque maître, dans sa classe, aux cours des progressions et des séquences d’enseignement qu’il met en oeuvre dans sa classe, évalue que ce soit de manière diagnostique, formative, normative utilisant tests, évaluations, contrôles, devoirs, ...

Le livret : les textes

Une lecture du décret de 90 et de la circulaire de 95 amène à pointer quelques consignes ministérielles :
- le maître est responsable de l’évaluation régulière des élèves
- le conseil de cycle responsable détermine la progression d’un élève dans le cycle
- les parents sont tenus régulièrement informés de la situation scolaire de leur enfant
- chaque élève a un livret scolaire
- le livret relève de la responsabilité pédagogique du conseil des maîtres
- les livrets sont validés par l’IEN
- le livret scolaire contient les résultats des évaluations périodiques, des indications précises sur les acquis, les propositions du conseil de cycle
- le livret est communiqué aux parents qui le signent
- le livret est un instrument de liaison pour les maîtres entre eux et pour les parents
- le livret suit l’élève

Le livret scolaire se trouve ainsi avoir trois destinataires, trois fonctions pour le même objet. Pour les familles, il permet d’obtenir une information sur l’organisation de l’enseignement, des renseignements aussi objectifs que possible sur la scolarité de leur enfant en terme de compétences et également une synthèse par champs disciplinaire. Pour l’élève, le livret aide à trouver des repères, un sens à l’école et aux différentes évaluations ; ce qui participe de sa motivation. Enfin, il est un outil professionnel pour l’enseignant dans sa classe, permettant autant que possible un suivi de l’élève et une certaine continuité des apprentissages. Il sera utilisé lors des passages de cycle à cycle et lors des commissions d’harmonisation pour l’entrée au collège.

Pratiques évaluatives.

Quelles sont les pratiques des enseignants concernant les différentes évaluations qu’ils utilisent au cours de l’année scolaire et en particulier celles qu’ils utilisent afin de pouvoir renseigner le livret scolaire ?
Qu’est-ce qu’évaluer ? Qu’est-ce que corriger des travaux d’élèves ? Cela sert-il à évaluer les savoirs et les compétences des élèves ? Comment ?

Corriger :

De Peretti propose six objectifs à la correction, ce qui correspond aux pratiques des enseignants :
- rectifier ... : les évaluations vont permettre d’ajuster la progression ou la séquence d’enseignement en fonction des réponses des élèves, leurs acquis ou leurs difficultés par rapport à une notion enseignée. L’enseignant va donc revoir la progression sur cette notion, revenir sur des éléments non compris, prévoir des moments de différenciation, ... L’élève prendra alors les informations nécessaires pour comprendre ce qui est attendu. Il corrigera ses erreurs, aura une vision plus précise de ses capacités concernant les notions évaluées. Les exercices proposés portent alors surtout sur des points précis des séquences en cours.
- valoriser ... : une fois les notions abordées, généralement acquises par les élèves, le maître propose alors des exercices que les élèves réussissent globalement, en général ce sera sur le cahier de classe, celui-là même que les parents verront et apprécieront. Cela permet de conforter ses pratiques de classe, de valoriser les élèves, de montrer le travail accompli. De plus, s’appuyer sur les réussites, les acquis permettra d’avancer sur une nouvelle notion.
- référencer, normaliser ... : les évaluations proposées aux élèves sont dans ce cas directement reliées aux différents points des programmes et des instructions officielles. Elles permettent de pointer les progressions, les stades atteints. Les outils utilisés peuvent alors être communs à plusieurs classes, voire « nationaux », par exemple, extraits de la banquoutils ... permettant de cibler ce qui est attendu à un moment donné. Les résultats des élèves sont quelques fois directement reportés sur le livret scolaire.
- sanctionner ... : le terme inquiète généralement les enseignants. On ne punit pas avec une évaluation ! Cela leur rappelle-t-il les « contrôles surprises » sanctionnant un comportement de la classe ? Cette fonction est souvent mal interprétée : punir, condamner, sévir mais plus rarement entendue comme le fait d’entériner, de valider des acquis, des savoirs ou des compétences. Il s’agira de valider à un moment précis des acquis : le baccalauréat sanctionne les études secondaires. De même, en pédagogie de maîtrise, lors de travaux individuels, utilisant des fichiers, un élève de l’école élémentaire qui « passe un test » verra ses compétences validées par une ceinture de couleur, couleur qui correspond à un « niveau scolaire » formulé en terme de capacités et compétences vérifiables par un examen ou un contrôle.
- sélectionner ... : là encore ce terme est mal perçu par les enseignants. Il rappelle les examens d’entrée en sixième, les concours, ... Mais n’est-ce pas ce qui est pratiqué lorsqu’une définition des groupes de besoin est nécessaire lors de re-médiations ou de moments de différenciations pédagogiques ?

On distingue ici cinq fonctions à l’évaluation :
- diagnostique, permettant l’analyse d’une situation, des besoins, des « profils » des élèves (rectifier, sélectionner)
- pronostique pour l’élaboration d’un projet
- formative, accompagnant un apprentissage (rectifier, valoriser)
- sommative permettant les bilans, les décisions (référencer, normaliser, sanctionner)
- orientation (sélectionner)

Lors de débats, de discussions avec les enseignants, il apparaît que leurs pratiques évaluatives se rattachent généralement aux fonctions de rectification ou de valorisation. Comment alors renseigner les livrets scolaires ? Peut-on trouver des critères objectifs pour corriger ?

Evaluer, est-ce possible ? ...

Une définition reprise par F. Muller est proposée par D.I. Stufflebeam : « L’évaluation est un processus par lequel on définit, on obtient et on fournit des informations utiles permettant de juger des décisions possibles. » Trois phases délicates donc :
- définitions des informations : qu’évalue-t-on ? Evalue-t-on de la même façon des savoirs et des connaissances, des savoir-faire et des compétences, des procédures et des savoir-y-faire ? Peut-on évaluer des attitudes et des comportements, des savoir-être ? On le perçoit déjà ici, définir ce qui va être évalué est particulièrement complexe. Le flou des critères devient rapidement un facteur de discordance remettant en cause les buts visés par l’évaluation.
Si on se retourne vers les compétences attendues par les programmes, on pourra trouver par exemple : « Comparer des nombres décimaux, les ranger, en réaliser des encadrements », mais aussi « mettre en œuvre un raisonnement, articuler les différentes étapes d’une solution » . La première concerne une compétence presque technique, simple à évaluer en proposant quelques exercices ; la validation sur le livret scolaire est simple : l’élève sait ou ne sait pas. Quant à la seconde, il s’agit d’une compétence générale, de procédure, qu’il est particulièrement délicat de sanctionner par un « acquis » ou un « non acquis », d’autant que cette capacité continuera à être travaillée tout au long du cursus scolaire.
- collecte des informations : cette collecte requiert des outils, des moyens d’analyse, des mesures. Il s’agira pour l’enseignant qui prépare son contrôle, son évaluation de définir le protocole, le barème, le codage, la passation et il devra s’interroger sur la correction. Là, les questions se multiplient : supports, longueur des exercices, niveau de maîtrise attendu, durée de l’évaluation, barèmes, passation individuelle, collective, ...
De même, au moment de l’analyse des productions des élèves, il devra se pencher sur les types d’erreurs (cf. J.P. Astolfi), l’état de disponibilité des élèves, leur motivation et cette analyse sera d’autant plus difficile à objectiver. Quant à la mesure, quelle échelle, quelle graduation, quelle unité ? Comment simplement mesurer ces productions d’élèves ? ...
- communication des informations : Elle sera différente en fonction du destinataire, parent, élève, maîtres du cycle, collègues d’un autre cycle, collège, ... Le média devra donc être différent et nécessitera des allers-retours entre l’enseignant et son destinataire.

On le voit avant même de pouvoir prendre une décision et d’agir, les phases nécessaires à une évaluation peuvent poser de véritables difficultés à l’enseignant. Attardons-nous sur la phase de collecte des informations et sur ce moment délicat qui est la correction de production d’élève.

De nombreuses causes et effets risquent au moment de la correction d’une copie ou d’une évaluation créer des facteur de discordance : la docimologie, science de l’évaluation, s’est chargée de les étudier :
- la fatigue, l’ennui : une journée de travail de 6 à 9 h avec la cantine et l’étude, des rencontres avec les parents d’élèves, un trajet de plus en plus long, des courses à faire, une seconde journée qui commence en rentrant à la maison et des corrections à finir pour le lendemain ... quoi de mieux pour être particulièrement sévère ou tout au contraire très laxiste en évaluant les travaux des élèves.
- le halo : le soin, l’orthographe, le respect des consignes de présentation, l’écriture ou plutôt la calligraphie créent autour du contenu de la copie de l’élève une aura que l’on percevra positivement ou négativement. Cela influencera le « jugement » porté sur le travail même si les critères d’évaluation ne portent pas sur ces aspects. En effet, comment par exemple évaluer si un élève marque l’accord sujet verbe si on ne peut lire et comprendre sa production écrite à cause d’une écriture illisible ?
- l’ordre de correction : corriger le travail d’un élève dont la production sera un peu plus légère, plus faible que celle de l’élève précédent peu amener à être plus sévère ou plus laxiste. Une copie moyenne sera « jugée bonne » si elle est précédée de quelques travaux médiocres.
- le flou des critères dont on a déjà parlé, sera évidemment également une cause de discordance.
- la contamination : pour la même production, les évaluations des différentes compétences mises en jeu risquent de se télescoper, de s’influencer. Par exemple, dans une production d’un élève, après avoir évaluer négativement ses compétences à employer les mots de liaison, à marquer l’accord sujet verbe, à utiliser les différents emplois des temps verbaux, ... le correcteur sera-t-il encore objectif pour évaluer si l’élève sait utiliser les substituts ?
- la stéréotypie : on connaît nos élèves, on sait quelles sont leurs réussites et leurs difficultés. Cependant ne se laisse-t-on pas influencer par cette « connaissance » des capacités d’un élève ? Ne finit-on pas quelques fois à avoir une idée immuable des performances de tel ou tel et se laisser « contaminer » lors d’une correction ?
- la sévérité : le même travail sera-t-il évalué de la même façon par un enseignant indulgent et par un enseignant qui se veut sévère ?
- la constante macabre : la tendance centrale : André Antibi l’a étudiée dans son ouvrage parue au éditions Math’Adore. Les pratiques d’évaluation « sont assujetties généralement à la règle des trois tiers : un tiers de « mauvais », un tiers de « moyens » et un tiers de « bons », y compris quand les objectifs ont été globalement atteints par la grande majorité des élèves ». Par crainte de sous-évaluer ou de surévaluer, nos évaluations risquent de suivre une courbe de Gauss afin de satisfaire une obligation de « moyenne » et ce quelque soit le groupe d’élèves.

Comment objectiver l’évaluation sommative et renseigner un livret scolaire ?

Qu’est ce que ce livret scolaire ? Je différencierai 2 outils distincts par la forme, le contenu, la fonction et le destinataire :
- un outil d’enseignant : reprenant toutes les compétences dans tous les champs disciplinaires des programmes 2002 et servant à noter les compétences acquises. Il est d’abord à destination de l’enseignant lui-même pour programmer ses séquences d’enseignement. Il permettra ensuite un suivi des compétences acquises par l’élève tout au long du cycle et lors de son passage de cycle à cycle ou vers le collège. Cet outil est un outil de professionnel de l’éducation à destination de professionnels de l’éducation. Ce sont des évaluations sommatives sanctionnant un niveau de maîtrise à un moment donné de la compétence évaluée.
- des documents de liaison avec les familles, plus légers, lisibles, reprenant par champs disciplinaires les compétences évaluées dans une période donnée. Ils seront accompagnés des travaux de l’élève qui permettront de tisser des liens entre les « contrôles » et les indications portées sur le livret. Notons qu’il est toujours intéressant de remettre ce « livret » aux familles directement ce qui permet de l’expliciter et d’engager la famille et l’enfant dans une démarche de progrès.

Quelques propositions ?

Dans un premier temps, on n’évaluera que les compétences attendues au terme d’une séquence d’enseignement, au terme d’un module d’enseignement ou d’un cycle d’apprentissage.
- réduire ces évaluations sommatives.
- cibler la compétence à évaluer. Il sera plus difficile d’évaluer des compétences générales, des attitudes ou des savoirs procéduraux.
- simplifier la correction en n’utilisant que peu de critères
- ne pas construire d’exercices trop complexes mettant en jeu d’autres compétences que les élèves ne maîtriseraient pas. Utiliser des exercices construits en commun sur le cycle de l’école, s’inspirer de ce que propose la banquoutil ...
- maîtriser les consignes de passation, le temps alloué, la démarche et en tenir les élèves informés
- situer le niveau de maîtrise de la compétence et trouver les critères de validation et le barème
- noter sur le support de l’élève l’intitulé de la compétence évaluée

Au terme de la passation de l’exercice d’évaluation, la décision, la sanction à prendre est relativement simple, binaire : oui, l’élève a atteint le niveau attendu de maîtrise de la compétence ou non, il faudra attendre, il faudra qu’il s’entraîne ou revoit les notions et sera de nouveau évalué plus tard.
Sur le document, outil du maître, seules sont reportées les réussites des élèves.

Compétences évaluées 1ère année 2ème année 3ème année 4ème année
- identifier les verbes dans une phrase, X
- identifier les noms dans une phrase, X
Suivi des compétences dans le cycle 3

Le document ainsi produit est un outil de suivi des compétences acquises par un élève tout au long du cycle, un outil professionnel. (Ce document contient les compétences disciplinaires et les compétences du parler, lire, écrire.)

Suivi des compétences dans le cycle 2
Suivi des compétences dans le cycle 2
Format Excel

Le document Cycle 2 reprend les compétences attendues en fin de maternelles (1ère case grisée) et l’ensemble des compétences attendues en fin de cycle 2.

Quant à la communication aux parents, plusieurs formes simplifiées (mais pas simplistes) pourront être construites. Il s’agira de faire un bilan des compétences acquises dans un domaine et y porter des indications sur les progrès de l’élève tout en référençant à l’ensemble des compétences attendues.


Bibliographie :
- DE PERETTI, André. Encyclopédie de l’évaluation en formation et en éducation. ESF.
- MULLER François. Manuel de survie à l’usage de l’enseignant (même débutant). L’Etudiant.
- ASTOLFI, Jean-Pierre. L’erreur, un outil pour enseigner. ESF
- ANTIBI André. La constante macabre. Nathan.
- Le Monde de l’éducation. Que valent les notes ? du CP au Bac. N° 344. Février 2006


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