De la "maltraitance" et de l’action commune

mercredi 19 novembre 2008
par  Jean-Claude ROLLAND
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Un peu éprouvé en ce moment de la maltraitance à laquelle l’école et les enseignants semblent être soumis. Les conséquences sur les conditions de travail de nos élèves et les nôtres ne sont pas encore mesurées mais les enseignants ressentent chaque jour ces dégradations.

Mon métier de conseiller pédagogique m’amène à rencontrer régulièrement les équipes des écoles ; ma mission première étant la formation et l’accompagnement pédagogique des enseignants. C’est lors de ces rencontres que je peux mesurer à quel point ces sentiments et ces ressentis peuvent prendre le pas sur les demandes habituelles d’aide et de conseil et sur la réflexion sur les actes professionnels.

Je parle de maltraitance car de nombreux processus sont ainsi perçus par les équipes en ce moment : actes ressentis comme agressifs, privations, récompenses, insultes, dévalorisation, exigences éprouvées comme disproportionnées, dénigrement, sentiment d’impuissance, humiliations, passivité, négation de soi, avenir incertain, impossibilité de se projeter, culpabilité ressentie par les « victimes » ...

Revenons sur les dernières décisions successives et rapides (dont eppee n’a pu suivre l’actualité furieuse) qui m’amènent à parler de maltraitance, terme certes un peu fort, mais c’est de ressenti qu’il s’agit.

LA CAROTTE ET LE BATON

-  Primes ciblées et catégorielles : sans concertation, sans critère juste, sans transparence : 400 € pour les enseignants de CE1 et CM2 pour « compenser » le travail supplémentaire et la charge dus aux évaluations ... Bizarre, non, une prime pour faire son travail
-  Rémunération au mérite qui se profile : certes, elle existe déjà avec la notation pédagogique, mais juger individuellement, calquer sur le privé et l’entreprise ..., critères subjectifs, inégalités, ...
-  Surveillance accrue et sanctions : repérage des mouvements d’opinion par la surveillance des sites et des blogs des enseignants et des militants pédagogiques (220.000 € cette affaire tout de même). Sanctions à l’encontre des enseignants « en résistance »

LE DENIGREMENT ET L’HUMILIATION

-  Dévalorisation des professionnels enseignants en maternelle : Couche et sieste, personnel trop bien formé pour ce qu’ils font ...
-  Pouvoir d’achat : une baisse évidente chiffrée selon les études de 6 à 20% ; on n’y comptabiliserait pas les primes nombreuses et mirobolantes qu’oseraient percevoir ces enseignants
-  Elèves en difficulté : l’échec scolaire des élèves régulièrement médiatisé comme l’échec des enseignants
-  Qualité de l’enseignement remis en cause : discrédits réguliers sur les actes d’enseignements, voire sur les personnes accusées de « pédagogisme », de démagogie, d’inefficacité, de réactions insensées aux réformes et aux « bonnes pratiques ». On notera que le ministère n’oublie pas de récompenser ses agents méritants et progressistes en élevant par exemple Marc Le Bris au grade de Chevalier de l’Ordre national du Mérite.
-  Dénigrement de la formation des enseignants et réforme de l’Iufm : mastérisation du recrutement, disparition des Iufm et de leurs antennes départementales, formation par compagnonnage
-  Service minimum d’accueil : dont l’effet pervers est de laisser penser que la première fonction de l’école et des enseignants est d’accueillir et garder des enfants pendant la journée de travail des parents
-  Création d’une agence de remplacements des enseignants : en effet souvent, absent ou en congé, l’enseignant doit pouvoir être remplacé au plus vite par de jeunes étudiants en formation, des stagiaires voire des retraités.

EXIGENCES MULTIPLES ET MODIFICATIONS RAPIDES DES CONDITIONS DE TRAVAIL

-  Modification des programmes et des prescriptions : Comment travailler dans la sérénité si le « cahier des charges » se modifie sans cesse ? Retour aux fondamentaux, instruction civique et morale, manque d’ambition ... Trois publications de programmes (sans tenir compte des circulaires multiples) en très peu de temps : 2002, 2007, 2008 ... Cela continue avec des envies de prescriptions concernant l’enseignement de l’histoire
-  Modification des horaires de travail : suppression du samedi matin sans concertation dont les conséquences n’ont pas été mesurées : difficultés de travailler la relation école famille, sentiment d’allongement des journées de travail (6 heures de classe, concertation en fin de journée ou aide personnalisée puis correction et préparation de la classe) ; aide personnalisée, ... Ce qui a pu amener les inspections sur certaines circonscriptions à un contrôle accru ...
-  Création des EPEP : pour que les enseignants des écoles élémentaires aient "de vrais patrons gestionnaires rendant des comptes" ; pense-t-on que l’école aujourd’hui est irresponsable, que l’enseignant fait ce qu’il veut, c’est-à-dire n’importe quoi, que les directions d’école et les inspections dans les circonscriptions ne gèrent rien correctement ?

SENTIMENT D’IMPUISSANCE CRAINTES POUR L’AVENIR

-  Carte scolaire : assouplissement de la carte scolaire ; un effet pervers permettant à nos élèves ayant obtenu de bons résultats d’éviter le collège de secteur. Cela retournant aux enseignants des résultats plus ou moins inquiétants aux évaluations de leurs seuls élèves affectés au collège ZEP partenaire de l’école
-  Suppression programmée des postes des réseaux d’aide : Suppression de 3000 postes. mesure brutale, décidée sans concertation et sans évaluation de l’action de ces réseaux
-  Annonce de « sédentarisation » des personnels des réseaux d’aide : au-delà de la suppression de poste, l’avenir proche de ces collègues est incertain, comment vont-ils travailler l’an prochain, ce flou leur est insupportable
-  Suppressions de subventions aux associations et à l’éducation populaire : réduction de 25% des subventions pour 2008 et suppression à terme des compensations financières alloués aux associations complémentaires de l’école :
-  Suppressions de postes : coupes budgétaires ; décision de ne pas remplacer 11 200 fonctionnaires

Alors, au-delà du constat, au-delà de cette liste interminable d’actions d’un gouvernement hyperactif, multipliant les prises de décisions rapides, comment pourrions-nous nous recentrer au quotidien sur le métier, sur l’enseignement, sur les progrès de nos élèves ?

Lorsqu’on se sent maltraité, face à l’avenir incertain, on peut être tenté d’oublier également le passé et ses propres réussites et celle de l’école : démocratisation, connaissances et compétences accrues, professionnalisation du métier, qualité du recrutement des enseignants, réflexions sur les pratiques, projets d’école, projets de classes, généralisation du travail d’équipe, ...

Ce qui fait et fera la force de nos établissements scolaires, face à l’individualisme générée par ces mesures gouvernementales, c’est le temps et le collectif.

Le collectif, ce sont les associations, les mouvements pédagogiques, le syndicat (pourquoi pas), mais c’est aussi et au quotidien les conseils de maîtres, les conseils de cycle, les concertations, devant reprendre toute leur place, et qui seront des moyens de prendre du temps pour analyser, débattre, réfléchir, imaginer, créer et être force de propositions.

C’est dans l’action commune, concertée et échafaudée, mettant en œuvre les actions collectives qui permettront aux élèves de réussir, aux enseignants d’agir pour le service public d’éducation en accord avec les valeurs de l’Ecole.


Commentaires  Forum fermé

De la "maltraitance" et de l’action commune
dimanche 31 mai 2009 à 20h25

les directions d’école et les inspections dans les circonscriptions ne gèrent rien correctement ?

Les directeurs et directrices d’école font ce qu’ils peuvent, avec la meilleure volonté du monde mais sans statut, ce qui résoudrait pourtant un certain nombre de problèmes.

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De la "maltraitance" et de l’action commune
dimanche 11 janvier 2009 à 22h18 - par  Jean-Claude ROLLAND

RASED : 1500 sédentarisés seulement

LE MONDE du 9 janvier 2009 :

Dans le cadre des 13 500 suppressions de postes prévues pour 2009 par la loi de finances, 3 000 enseignants des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) devaient être "sédentarisés", c’est-à-dire réaffectés à temps plein à des classes ordinaires au lieu de s’occuper de petits groupes d’élèves. Le ministre a annoncé jeudi 8 janvier aux syndicats que seule la moitié du nombre prévu serait ainsi réaffectée. Les 1 500 autres continueront à intervenir en surnuméraire auprès d’élèves en difficulté. L’objectif des 3 000 suppressions sera néanmoins tenu. Comment ? Le ministère, qui évoquait depuis plusieurs jours une "gestion fine au niveau des académies", n’a pas donné, jeudi, d’explications détaillées...