Lettre à un collègue

vendredi 12 décembre 2003
par  Jean-Claude ROLLAND
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Passé le choc de la décision incompréhensible des juges, j’éprouve aujourd’hui le besoin de t’écrire plus longuement.

Je ne peux ni me mettre à ta place, ni même comprendre ce que tu vis tellement ces moments doivent, être terribles.
Coupable ont-ils dit ! Coupable !

Alors je le suis, nous le sommes aussi !!!!

COUPABLES de vouloir que nos élèves puissent vivre l’école de la meilleure manière possible,
COUPABLES de tout faire pour que les droits des enfants ne se déclinent pas seulement en droits et devoirs
COUPABLES de vouloir que ces Droits de l’enfant soient des valeurs universelles à l’égal de ceux de l’Homme
COUPABLES de vouloir former et non instruire de futurs adultes et non des « citoyens » sans esprit critique,
COUPABLES de vouloir que nos élèves puissent se révolter face aux injustices,
COUPABLES de vouloir faire comprendre qu’une loi si elle est inique doit être transgressée.
COUPABLES de vouloir former des enfants capables d’écouter l’autre,
COUPABLES de vouloir rendre ces enfants capables de comprendre l’autre et ses points de vue s’ils sont différents de lui
COUPABLES de penser que l’enseignant doive perdre un peu de son pouvoir, qu’il ne soit plus dans sa classe omnipotent et omniscient, qu’il ne soit plus exclusivement le tuteur de ses élèves, dispensateur de savoirs mais qu’il devienne alors le médiateur entre les élèves et les savoirs.
COUPABLES de croire en l’autonomie des élèves, en leur liberté,
COUPABLES de vouloir faire de l’école un lieu démocratique et non pas un îlot hors de la Société
COUPABLES de vouloir faire de la classe un lieu de vie

Mais elle est devenue un lieu de mort parce que l’imprévisible, l’inconcevable est survenu, et ils t’ont rendu coupable de cela !!!!!
Et là tout s’écroule, tout ...
En revoyant depuis ta condamnation le fil de ma carrière, ce que j’ai voulu faire, ce que j’ai voulu enseigner, ce pourquoi je suis devenu formateur, je me suis rendu compte que la différence entre toi et moi c’est que j’ai simplement eu de la chance.

De la chance, à chaque sortie dans la ville avec une classe
De la chance en classe de découverte, en mer, à la voile
De la chance à chaque moment d’EPS
De la chance en classe, quel que soit le moment, leçons, ateliers, jeux, travaux personnels, fêtes, ...
De la chance à chaque seconde de ma vie d’enseignant

Alors, Philippe, à travers tes démêlés avec la justice des hommes, je me suis identifié à ton combat.
Ton combat est juste et tu as su, et avec quelle force, quelle énergie nous le faire saisir ...
Là, c’est de l’admiration pour cette faculté de penser à l’autre, de penser au métier à travers ces années terribles depuis la mort de Sarah.
Admiration pour tes facultés d’analyse de cette situation, pour avoir su nous mobiliser parce que ce combat qui est le tien est aussi le notre !!!

Au-delà de tout ça, c’est à l’Ami que je pense, à ta famille, et tes enfants ...

COURAGE !


Commentaires  Forum fermé

Samedi 13 : le vrai débat
lundi 15 décembre 2003 à 18h19

1) "COUPABLES de vouloir former et non instruire de futurs adultes et non des « citoyens » sans esprit critique, " Attention, je sais que tu as écrit "à chaud" comme on dit, et sous le coup de l’émotion, mais je crois que former et instruire ne s’opposent pas. Ta formule est maladroite car elle peut laisser entendre que Philippe refuserait d’instruire au profit de la "formation" ! Tu as du sans doute voulu écrire "former et non seulement instruire..."

2) J’ai trouvé la matinée de samedi (13/12) à Jaurès très digne. L’exercice était pourtant délicat, surtout en présence des syndicats, de soutenir Philippe sans donner l’impression de verser dans le réflexe corporatiste et la défense inconditionnelle d’un collègue. Ni heurter des parents en deuil ou relativiser un drame. En fait, le débat sur l’école me semble avoir vraiment commencé ce jour là. Des problèmes très importants liés aux conditions d’exercice de notre métier ont étés abordés avec réalisme et avec beaucoup de professionnalisme, et ont confirmé le fait que nous étions tous concernés par ce qui est arrivé. Non seulement parce qu’il s’agit de Philippe à Epinay, mais aussi parce qu’au delà de la sécurité, c’est toute la question des pratiques pédagogiques et de leur finalité qui est posée. Comme celle de la confiance que l’on accorde à nos élèves. Mais au fait, qu’est-ce qu’un enfant ? Qu’est-ce qu’un élève de CM2 ? Qu’est- ce que grandir ? Qu’est-ce qu’apprendre ? Je crains fort que beaucoup de pressions s’exercent sur notre institution pour qu’elle en vienne à exiger de nous le risque zéro. Et son corollaire pédagogique inévitable : Instruisez, évaluez, faites le tri social que l’on vous demande en ne recourant qu’aux bonnes vieilles pratiques frontales ! "Big Brother" pédagogue, remplis les têtes vides de tes élèves mais ne leur donne surtout pas de responsabilités ! Et surtout pas dans les "quartiers" . Ce serait de la confiture aux cochons. (pourquoi pas la culture aux sauvageons !)
Exagération ? Pas sûr. A peine . En tout cas ça constitue une bonne part de "l’air du temps", avec ses relents de restauration sur tous les fronts, pédagogiques compris, cet "air du temps" qui semble d’ailleurs exercer une pression insidieuse, pour ne pas dire "atmosphérique". Et la récente décision qui nous choque tant, dans sa méconnaissance manifeste de la réalité et des enjeux du métier, n’y a peut-être pas échappé, et risque malheureusement de conforter certaines des représentations de l’école les plus passéistes et d’ouvrir aux esprits restaurationnistes une brèche qu’ils ne demandent qu’à utiliser.
N’oublions donc pas que dans un tel contexte idéologique, où la pédagogie est un gros mot montré du doigt (il n’est qu’à lire certains textes plus ou moins officiels...), il n’est pas incompréhensible pour tout le monde qu’un instituteur de cinquante ans (un soixante -huitard, donc, et libertaire de surcroît) puisse être jugé coupable d’homicide involontaire devant la loi pour une fenêtre ouverte et une malle à terminer de ranger au cours d’un goûter en classe.

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> Lettre à un collègue
dimanche 14 décembre 2003 à 14h59 - par  yannick TRIGANCE

Nous savons tous que les mots , les messages de soutien ne peuvent avoir assez de force pour soulager un tant soit peu Philippe, Mireille , leurs enfants et leurs proches.
Et pourtant, faisons-le.
Faisons-le car le drame qu’ils vivent est aussi le nôtre même si l’injustice , l’incompréhensible et l’inacceptable sont tombés sur leurs seules épaules.
Faisons-le car leur douleur , depuis toutes ces années, ne peut ni ne doit se vivre sans savoir qu’elle est partagée par tous les collègues et par tous les amis.
Faisons -le car ce que vivent Philippe et ses proches peut arriver à chacune et chacun d’entre nous, demain , à tout moment.
Faisons-le enfin pour leur dire qu’avec force et détermination nous sommes et serons à leurs côtés pour que justice soit enfin rendue comme elle aurait du l’être .