Tristesse : décès d’une figure d’Epinay
Mardi 1 septembre 2009, on apprend le décès de Monsieur André FORTANE à l’âge de 94 ans, né à Bordeaux le 21 mars 1915.
DDEN, il montrait son intérêt pour l’éducation des enfants d’Epinay. Témoin de la guerre, ancien déporté, il rencontrait volontiers et toujours avec plaisir les élèves d’Epinay-sur-Seine. (Voir ici)
ne grande tristesse, un extrême sentiment de perte. Enseignant et conseiller pédagogique à Epinay, j’ai eu l’honneur de rencontrer plusieurs fois André. Il était si proche des élèves qu’il rencontrait, si pédagogue que ces moments avec les classes laissaient au fond des cœurs et des âmes le ciment qui renforcera les valeurs des futurs citoyens. Merci.
Jean-Claude ROLLAND

Jocelyne VAYSSIERES nous communique l’hommage qu’au nom de sa famille et de tous ses amis elle a rendu lors de son inhumation à André Fortané. :
A André
Fortané
à son épouse, à ses enfants[1]
Un grand militant
nous quitte. Et soudain, au-delà de la tristesse un immense vide nous envahit
comme si une partie de soi s’en était allée tant sa présence nous était
précieuse.
Je passerai
rapidement sur une scolarité brillante qui a conduit André de Bordeaux à
Toulon, de Toulon à Langon (où il prépare le Certificat d’études primaires et rencontre
le rugby[2]) puis
de nouveau à Bordeaux. Une scolarité comme on en souhaite tous à nos enfants,
une scolarité sans problème, de celles dont on ne parle pas.
C’est à 16 ans
qu’André commence à sérieusement se faire remarquer : il entre
officiellement dans la vie militante en créant à Bordeaux le Cercle Indépendant
d’Études Politiques[3] et, dans la foulée, le
premier journal lycéen et étudiant (de Bordeaux).
Mais les journées
ayant tout de même 24 heures, tout cela ne suffit pas à les remplir. André va
donc suivre les cours du Conservatoire municipal de théâtre et de chant.
Est-ce là suffisant à
ce boulimique de l’action ? Que non ! Il se lance donc en même temps
dans l’animation périscolaire et théâtrale bordelaise[4].
A 18 ans, André fait
un passage éphémère dans les rangs des combattants républicains espagnols.
Puis il reprend ses
études, des études scientifiques d’abord, avec une préparation à l’école
Polytechnique – qu’il refusera de rejoindre – puis des études sociologiques à
la faculté des lettres, André s’intéresse au droit à la faculté de Bordeaux. Ce
qui le conduira au barreau de Bordeaux où, jeune avocat, il se voit confié la
défense d’un petit truand.
Il parviendra à le
faire acquitter.
C’en est trop !
Dégoutté de la justice qui relaxe celui qui méritait les écrous, André quitte
aussitôt la robe …
Il tente alors sa
chance dans la voie industrielle et commerciale et devient apprenti cadre dans
une entreprise parisienne de fabrication de pièces détachées d’automobiles.
Il fait alors la
connaissance de la nièce d’un fournisseur de machines-outils et l’épouse. De
cette union naîtront par la suite cinq enfants.
André devient en même
temps collaborateur de l’oncle de sa femme.
Oui, mais voilà
c’était « la belle époque », celle où il fallait encore faire son
service militaire…
Incorporé au 5ème
régiment de génie à Versailles, puis dans le bataillon des officiers de réserve,
le militantisme le démange et il crée la « Ligne de Fer »,
association pacifiste[5],
clandestine, qui réunit officiers et sous-officiers de réserve de la
« classe 35 ».
Entre Jean Giono et
Jean Moulin, André cherchait son chemin laïque !
C’est pour ces hauts
faits d’armes – son pacifisme foncier - qu’André ne peut être nommé officier
mais … devient sous-officier instructeur au bataillon des élèves officiers de
réserve !
Comment après cela la
guerre a-t-elle pu être déclenchée ? Sans doute les contradictions de
l’armée…
C’est la guerre. La drôle
de guerre ! Et la déroute ! A pied de Versailles à Orléans, à
bicyclette d’Orléans à Cahors, en camion de Cahors à Plaisance – dans le Gers –
où le voyage prend fin : démobilisation !
Collaboration ou
résistance ? Le choix est vite fait.
Changement d’activité.
André devient agriculteur-résistant en Dordogne ou résistant-agriculteur ;
enfin il pratique à la fois la résistance et à ses moments perdus l’agriculture :
il faut bien un alibi...
Travailler à la fois
près de la ligne de démarcation et de l’axe ferroviaire stratégique Bordeaux
Lyon, cela peut donner des idées : sabotage de la voie ferrée !
En 1943, sur
dénonciation, André est arrêté[6] -
accusé d’être juif - et déporté avec son ami Pierre Houssemaine : c’est la
triste liste des camps !
De Compiègne à Buchenwald,
Dora[7], Ravensbrück.
Dans ces moments de
captivité, André liera de très fortes amitiés qu’il entretiendra jusqu’au
dernier moment avec ceux qui auront survécu et qu’il appelait ses frères (je
pense en ce moment à René Bordet ou à André Sellier - qui n’ont pu être parmi
nous aujourd’hui - et à bien d’autres encore qu’André m’a donné la joie de
connaître) et avec tous ceux qui auront perdu
leur vie dans ces camps laissant une cicatrice indélébile au cœur d’André.
Comme il l’avoue
modestement, c’est surtout grâce à la fraternité qu’il cultive sans retenue, à
l’entraide, à l’abnégation et à l’héroïsme qui régnaient dans son groupe
qu’André – avec quelques uns de ses co-détenus - connaît la libération de 1945.
Profitant de la
relative désorganisation de l’armée allemande prise en tenaille par les alliés,
sur le chemin d’un nouveau camp, il s’évade en compagnie de deux amis et d’un
opportuniste qui leur faussera bien vite compagnie. Après avoir
« réquisitionné » un attelage ils s’enfuient vers la France.
Fuite émaillée de rires et de frayeurs … et d’un échange forcé, avec les
troupes russes, de deux chevaux en bon état contre trois exténués et en bout de
… course. Les voleurs, volés en quelque sorte.
Puis, c’est le
passage de l’Elbe. Après une tentative à la nage (sous la mitraille) et un
retour précipité sur la berge les trois amis s’improvisent interprètes pour
recenser les personnes embarquées sur le bac et … profitent de leur situation
pour s’embarquer à leur tour.
Accueil des
américains et retour en France.
Retour à la ferme
aussi ! Et de nouveau le militantisme ! André qui avait pris goût à
l’agriculture devient Secrétaire général des syndicats d’exploitants agricoles de
la Dordogne puis Secrétaire national adjoint de la Confédération Générale de
l’Agriculture aux côtés de Philippe Lamour[8]. Il a
en responsabilité le secteur de la modernisation mécanique de l’exploitation
agricole. Dans le même temps, il devient membre du Conseil Économique et social
national.
Mais sans doute ces
tâches ne sont-elles pas suffisantes à ses appétits d’activités.
Aussi se lance-t-il
dans la création d’un réseau de coopératives internationales pour les échanges
agro-alimentaires européens et l’équipement des exploitations. Ce sera pour lui
l’occasion de nombreux voyages dans les pays de l’Est dont il rencontrera les
dirigeants au nombre desquels le Maréchal Tito avec qui il se liera d’amitié.
Puis André quitte la
Dordogne et s’installe en Ariège où il s’empresse de créer une coopérative
spécialisée dans l’élevage de basse-cour et la commercialisation des produits
puis, suite logique, une coopérative d’approvisionnement pour les agriculteurs.
Dès lors, et sans
jamais abandonner l’activité rugbystique – qu’il a même pratiquée dans les
camps de concentration[9] – il
se tourne vers l’Économie sociale.
Au début des années
60, à la suite d’un séisme familial et politique, André abandonne tout et revient
à Paris où il retrouve rapidement des activités industrielles dans le domaine
de la machine-outil à commande numérique et devient directeur général d’une
société mondialement connue.
Mais une fois encore,
le virus militant frappe : André devient Secrétaire général de la FOL 95[10]. Il
crée une association d’éducation populaire par le Théâtre[11] où
il entraîne Annette sa nouvelle épouse qui lui donnera un fils. Tous deux travaillent
avec le concours de personnels de l’Éducation nationale dans de multiples
établissements scolaires du Val d’Oise.
Une photo jaunie
d’André en soutane témoigne des vicissitudes de l’art.
Et si les murs
pouvaient parler, ils raconteraient ces après représentation où dans
l’appartement surpeuplé il faisait bon manger sur le pouce un morceau de confit
ou vider les pots de confiture à la petite cuillère.
Et si les voitures …
elles nous diraient la traversée des villes, les décors et le mobilier familial
sur le toit !
Il faut bien
reconnaître que ce militantisme extrême n’a pu se développer que grâce à la
complicité toujours bienveillante d’Annette qui assurait à la fois l’intendance
et … les retours de soirées.
Un déménagement en
Seine-St-Denis va permettre à André d’étendre ses activités à ce département où
il rencontre un accueil chaleureux tant auprès des collèges et des lycées que
des centres sociaux culturels.
Mais va-t-il
s’arrêter là ? Que non !
C’est l’occasion pour
lui de donner naissance aux premières associations familiales laïques de
France.
Militant au Conseil National
des Associations Familiales Laïques, il en sera le Président, le fera
reconnaître par l’ensemble du mouvement familial et obtiendra son agrément par
l’UNAF[12] au
prix d’un combat de plusieurs années.
En 1988, André a
annoncé depuis plusieurs mois déjà qu’il ne solliciterait pas le renouvellement
de son mandat à la tête du CNAFAL.
Mécontent de l’orientation
prise par les dirigeants qui lui succèdent, il quitte bientôt le CNAFAL, prend
son bâton de pèlerin (laïque !), sillonne la France et, avec quelques
fidèles pour base de l’édifice, construit l’Union des Familles Laïques (l’UFAL).
C’est une construction
harassante mais oh combien exaltante !
Suffit-elle à sa
boulimie ? Une fois encore il faut répondre non, deux fois non !
Une première fois non
parce qu’il ne lui suffit pas d’impulser, d’orienter, de mettre en œuvre mais
également il lui faut pratiquer à la base. Et quel meilleur terrain
d’expérimentation qu’Épinay sur Seine[13] où
il réside ? C’est ainsi qu’il visitera un à un tous les établissements
scolaires proposant des partenariats aux uns, prodiguant des conseils aux
autres, impulsant des expériences de formation des jeunes consommateurs ici,
esquissant des animations de restauration scolaire là, l’aide aux devoirs
ailleurs …
Puis André décide une
fois encore de passer les relais et quitte la Présidence de l’UFAL nationale[14] non
sans continuer d’apporter sa collaboration à tous les niveaux.
Une deuxième fois non,
parce que pour le boulimique André, l’UFAL est un cadre bien trop étroit.
Maintenant qu’il n’est plus en charge de sa direction, l’UFAL lui laisse un peu
de temps libre. Aussi devient-il Délégué Départemental de l’Éducation Nationale.
Il s’engage sans retenue – qui en aurait douté ? - dans ce nouveau
combat Il structure cette organisation
sur Epinay et effectue un maillage efficace de la commune, chaque école ayant
désormais « son » DDEN.
Depuis quelques
années, des problèmes d’audition et de vue empêchaient André de conduire.
Récemment, bien
qu’ayant conservé toutes ses facultés d’analyse, de réflexion et de
proposition, André nous disait la quasi impossibilité pour lui de suivre nos
débats et d’y participer.
Comme au rugby, après avoir fait une percée, pour que
l’action se prolonge André nous fait une nouvelle fois la passe[15]. Mais cette fois,
André tu nous laisses bien seuls pour avancer vers la ligne de but.
Aujourd’hui, André,
tu quittes le terrain. Nous n’entendrons plus résonner ta voix de ténor lors de
la troisième mitant entonnant « Arièjo o moun païs » mais tu nous as
montré le chemin.
N’attends pas que
nous prenions ta place, tu as mis la barre bien trop haute !
Mais je dirai ici,
solennellement, que ton combat n’a pas été vain, que nous allons tenter de nous
en montrer les dignes héritiers et que, l’ayant engagé à tes côtés, nous allons
le poursuivre afin que triomphent la laïcité, la liberté, l’égalité et la
fraternité.
Au revoir au militant
républicain !
Au revoir au militant
laïque exceptionnel !
Au revoir à
l’ami !
Au revoir André !
[1] L’ensemble de cet
article a été réalisé sur la base d’une note « A ma famille, à mes amis, à mes partenaires » rédigée le 3 mai
2003 par André Fortané à l’occasion de la remise des Palmes académiques et de
souvenirs personnels livrés au cours de discussions « au tour d’un
verre » à Épinay ou à l’ombre du prunier qui trône dans la cour de sa
maison à La Tour du Crieu.
[2] Il y rencontre
virus du rugby qui va le « tenir » une quarantaine d’année, et Pierre
Lagorce qui devint Maire de Langon puis Vice Président de l’Assemblée
Nationale.
[3] A la tête du CIEP
se trouvent alors deux jeunes inconnus André Fortané et Gaëtan Picon qui sera
plus tard directeur de cabinet d’André Malraux.
[4] C’est toujours avec
de jeunes inconnus qu’il pratique ces activités annexes : Danielle
Darieux, Georgette Plana, les Frères Jacques, …
[5] La encore, André
est bien entouré : Jean Giono, Jean Moulin …
[6] André est arrêté
par la milice une première fois accusé d’être juif mais sa mère l’ayant fait
baptiser - pendant l’une des nombreuses absences professionnelles de son père
intendant sur le paquebot qui assurait la ligne régulière Bordeaux-Buenos Aires
- il peut produire un certificat de baptême et est libéré … pour quelques
jours.
Il
est arrêté une seconde fois (par la même milice !) en compagnie de Pierre
Houssemaine - camarades de régiment qui l’a rejoint à la ferme de Maraval à
Saint-Médard-de-Mussidan - au motif cette fois qu’il emploie dans
l’exploitation agricole des réfugiés républicains espagnols (qui seront arrêtés
en même temps).
Pierre
Houssemaine mourra d’épuisement à Dora en 1944.
[7] A Dora, André est
affecté dans un atelier de fabrication de pièces sensibles destinées au pilotage
automatique - et plus particulièrement à stabiliser le vol - des V2 : les
gyroscopes. Le jeu – risqué ! – consiste, une fois le gyroscope monté et
avant de le poser dans le magasin de stockage, à effectuer durant le transport
manuel un petit mouvement brusque des poignets qui les rendra
inutilisables.
« Jusqu’en juin 1944, les fusées montées à
Dora qui quittent l’usine sont destinée à des tirs d’essais … et la
détermination des défauts à corriger » in histoire du camp de dora par André sellier.
La
fabrication et la manutention des pièces sont donc très sévèrement contrôlées
et surveillées afin de donner le plus d’efficience possible aux corrections.
Les petits actes de sabotage retardent d’autant la mise en service des fusées.
Plus tard les mêmes actes ralentiront les chaînes de montage avec la même
efficacité.
[8] Philippe Lamour est
le père de Jean François Lamour qui fut ministre de la Jeunesse et des Sports,
actuellement député UMP de Paris et vice-président de l’Agence Mondiale
Antidopage.
[9] Un jour, alors
qu’ils sont nus comme des vers, en plein hiver, au milieu du camp, et qu’ils
chancellent assaillis par le froid, les réflexes rugbystiques reviennent et
sous les yeux ébahis de gardiens médusés, André organise la partie et tous
entrent dans la mêlée ! Échappant sans doute ainsi à la mort.
Une
autre fois, André se fait voler ses chaussures. En plus de la température
glaciale qui règne alors, il est très sensible des pieds et il pense que c’est
pour lui la mort assurée ! Un moment après un « copain », sans
aucun doute au péril de sa vie, lui en a "trouvé" une autre paire …
[10] Fédération des
Œuvres Laïques du Val d’Oise
[11] Le T JT :
Théâtre, Jeunesse et Travail
[12] UNAF : Union
des Associations Familiales
[13] Épinay sur Seine
(Seine-Saint-Denis) lieu de résidence du couple Fortané alors que les vacances
se passent dans la maison familiale de La Tour du Crieu en Ariège
[14] C’est Alain Godin
qui succèdera à André Fortané à la tête de l’UFAL puis Bernard Teper prendra le
relais.
[15] In « A ma famille, à mes amis, à mes partenaires »
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