Dire, Lire, Ecrire les Fables ...

(Cycles 2 & 3, 6ème)
vendredi 21 avril 2006
par  Philippe Rocher
popularité : 6%


u programme de français des classes de 6ème, les Fables sont également particulièrement propices à l’utilisation des diverses modalités du "dire-lire-écrire" (lectures des œuvres, mises en réseau, débats interprétatifs, mises en voix, lectures d’images, écriture de textes, écrits de travail, copies...) qui structurent les activités de littérature à l’école .

LA PLUPART DES ARTICLES MIS EN LIGNE SUR CE SITE SONT REGROUPES DANS LE FICHIER IMPRIMABLE Les fables à l’école

PLAN

Introduction : les compétences spécifiques de la maîtrise du langage et de la langue française ...

I : LIRE LES FABLES
- LES VERS ET LES RIMES : « Diversité, c’est ma devise »
- MORALES ET RÉCITS
- LA DÉSIGNATION DES PERSONNAGES, ET AUTRES DIFFICULTÉS LIÉES A LA LECTURE DES FABLES DE LA FONTAINE
- LES SEQUENCES DIALOGUÉES : LA POLYPHONIE DES FABLES ET LA FONCTION PERSUASIVE

II : ÉCRIRE
- RÉÉCRITURES
- TRANSPOSITIONS GÉNÉRIQUES
- CONTINUATIONS
- IMITATIONS
- COPIER

III : DIRE LES FABLES
- LIRE À HAUTE VOIX, SEUL OU À PLUSIEURS
- MÉMORISER EN VUE D’UNE INTERPRÉTATION
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ABLEAU GÉNÉRAL DES COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES DE LA MAÎTRISE DU LANGAGE ET DE LA LANGUE FRANÇAISE

(Les compétences acquises dans le programme de littérature sont des compétences liées à l’exercice de la parole, de la lecture et de l’écriture.)

LITTÉRATURE (DIRE, LIRE, ÉCRIRE)

Parler

- formuler dans ses propres mots une lecture entendue,
- participer à un débat sur l’interprétation d’un texte littéraire en étant susceptible de vérifier dans le texte ce qui interdit ou permet l’interprétation soutenue,
- être capable de restituer au moins dix textes (de prose, de vers ou de théâtre) parmi ceux qui ont été mémorisés,
- dire quelques-uns de ces textes en en proposant une interprétation (et en étant susceptible d’expliciter cette dernière),
- mettre sa voix et son corps en jeu dans un travail collectif portant sur un texte théâtral ou sur un texte poétique.

Lire

- se servir des catalogues (papiers ou informatiques) de la BCD pour trouver un livre,
- se servir des informations portées sur la couverture et la page de titre d’un livre pour savoir s’il correspond au livre que l’on cherche,
- comprendre en le lisant silencieusement un texte littéraire court (petite nouvelle, extrait...) de complexité adaptée à l’âge et à la culture des élèves en s’appuyant sur un traitement correct des substituts des noms, des connecteurs, des formes verbales, de la ponctuation..., et en faisant les inférences nécessaires,
- lire, en le comprenant, un texte littéraire long en mettant en mémoire ce qui a été lu (synthèses successives) et en mobilisant ses souvenirs lors des reprises.

Écrire

- élaborer et écrire un récit d’au moins une vingtaine de lignes, avec ou sans support, en respectant des contraintes orthographiques, syntaxiques, lexicales et de présentation,
- écrire un fragment de texte de type poétique en obéissant à une ou plusieurs règles précises en référence à des textes poétiques lus et dits.

Au-delà, il est tout aussi important de conduire les élèves à une attitude interprétative : le sens d’un texte littéraire n’est jamais totalement donné, il laisse une place importante à l’intervention personnelle du lecteur (ici l’auditeur). C’est par le débat sur le texte entendu, plus tard lu, que les diverses interprétations peuvent être comparées. Elles doivent aussi être évaluées en revenant au texte lui-même de manière à contrôler qu’elles restent compatibles avec celui-ci. C’est en s’engageant résolument dans ce travail interprétatif que l’élève peut aussi apprendre le respect dû à la lettre du texte.

Il convient d’ajouter que ces compétences spécifiques à l’apprentissage de la littérature sont associées aux compétences générales suivantes :

En toute situation

- s’interroger sur le sens des énoncés, comparer des formulations différentes d’une même idée, choisir entre plusieurs formulations celle qui est la plus adéquate,
- rappeler de manière claire et intelligible les expériences et les discours passés ; projeter son activité dans l’avenir en élaborant un projet,
- après avoir entendu un texte (texte littéraire ou texte documentaire) lu par le maître, le reformuler dans son propre langage, le développer ou en donner une version plus condensée,
- à propos de toute lecture entendue ou lue, formuler une interprétation et la confronter à celle d’autrui,
- oraliser des textes (connus, sus par coeur ou lus) devant la classe pour en partager collectivement le plaisir et l’intérêt .

(Qu’apprend-on à l’école élémentaire ?, cycle des apprentissages fondamentaux).



I : LIRE LES FABLES

es réflexions suivantes concernent la lecture des fables en tant que telles dans les moments où les élèves sont directement confrontés au texte. Sur la familiarisation avec l’œuvre du fabuliste par l’étude du bestiaire, des titres des fables et des illustrations et sur le travail en intertextualité en général, voir sur ce site Fables en échos et résonances poétiques.

La notice "La Fontaine" de la liste des ouvrages de références pour le cycle 3 de l’école élémentaire, en accordant une place privilégiée aux recueils illustrés et en proposant une découverte à partir des adaptations des fables en bande dessinée, encourage la rencontre des fables en deux temps. D’une manière générale, il semble en effet qu’il vaille mieux présenter aux jeunes élèves les versions écrites des fables après une phase de découverte à partir de l’écoute (qu’elles soient lues par l’enseignant (e) ou entendues à partir de versions enregistrées) ou de l’observation d’illustrations. Ces dernières constituent des « seuils » dont le rôle est équivalent à celui de la couverture d’un album. La lecture des textes prend alors deux aspects. C’est à la fois la découverte de la forme écrite (particulière ici, parce que versifiée) d’une histoire déjà connue et entendue, et une étape de vérification, dans un débat déjà ouvert par l’image ou la version préliminaire oralisée, des hypothèses interprétatives qui sont cette fois confrontées au texte. C’est l’occasion également de comprendre que les illustrations sont elles-mêmes des interprétations qui, à l’instar de celles des lecteurs, privilégient un point de vue (un personnage, le narrateur) ou une dimension de la fable, insistent sur certains détails, en ajoutent et en omettent d’autres, font des choix de cadrage.

Il devrait donc aller de soi qu’à fortiori toutes les activités d’écriture et d’observation de faits de grammaire textuelle ne se mènent pas d’entrée de jeu...

On distinguera bien sûr la morale du récit, l’interprétation des fables portant sur au moins deux niveaux explicites : le narratif et le « prescriptif-moral », ce dernier étant lui-même une interprétation du premier.

On tiendra compte du fait que, comme la plupart des textes, les fables présentent différents types de séquences, en l’occurrence principalement narratives, descriptives (peu développées), et dialogales et que les morales sont ou bien intégrées à l’une d’elles, ou bien détachées, et formant alors une séquence à part, de type explicatif ou argumentatif.

Sans oublier bien sûr l’importance de la mise en vers.


LES VERS ET LES RIMES : « DIVERSITÉ, C’EST MA DEVISE »

a Fontaine versifie en diversifiant, il « diversifie » : les fables, pour la plupart d’entre elles, ne sont pas uniformes et mélangent des vers de mesure différente. C’est ce que l’on a coutume d’appeler « vers mêlés ».
On y rencontre souvent l’alexandrin (6/6) accompagné de l’octosyllabe (8), mais aussi le décasyllabe (4/6), l’heptasyllabe (7), l’hexasyllabe (6), le pentasyllabe (5), le tétrasyllabe (4), voire parfois des trisyllabes (3) et des bisyllabes (2).

L’assemblage ne répond à aucun schéma préétabli, les changements de vers n’obéissent à aucune régularité prédictible et sont plutôt déterminés par la recherche d’une plus grande adaptation du vers à l’évolution des péripéties du récit et aux dialogues. Cet usage plus libre de la versification favorise la production d’un certain nombre d’effets : oppositions, mises en relief, changement de rythme, accélérations, effets de surprise...la brièveté et la légèreté de l’octosyllabe contrastant par exemple avec l’ampleur et la tonalité épique, dramatique ou lyrique de l’alexandrin, le beau vers par excellence. Ainsi, dans Le corbeau et le renard, le premier monologue du renard fait alterner ces deux mesures en réservant l’alexandrin aux vers du paroxysme de la louange que les octosyllabes ne font qu’introduire progressivement.

L’agencement très subtil des rimes respecte le principe classique d’alternance entre rimes féminines (terminées par un « e » surnuméraire, dit caduc ou muet) et masculines. En revanche, et moins classiquement, il montre une succession non périodique et là encore non prédictible de groupements croisés (abab), embrassés (abba) ou suivis (aa) qui, en toute rigueur, ne constituent pas des strophes. Le rat des villes et le rat des champs, Le satyre et le passant et Le statuaire et la statue de Jupiter, composés en quatrains, et les sizains dans Le coq et la perle constituent cet égard des exceptions dans l’ensemble des fables.

Il en résulte pour chaque fable une architecture complexe dans laquelle les vers et les rimes contribuent tout autant au « liage » de séquences textuelles de nature différente qu’à la diversité d’un ensemble à la fois non uniforme et très cohésif.

Les fables se prêtent particulièrement bien à l’observation de la versification et la plupart des manuels de 6e en tiennent compte. L’interrogation sur la différence de longueur des vers permet par exemple d’aborder l’étude des critères pertinents qui fondent l’écriture versifiée en français (le nombre de syllabes, et non celui des lettres ou des mots....). D’où l’intérêt de proposer aux élèves des versions qui tiennent compte des contraintes du formatage des vers dans leurs mises en page. Voir sur ce point La dimension graphique des fables.
On prendra garde toutefois de ne pas se lancer dans des considérations trop techniques inappropriées à certains niveaux de classe et qui risqueraient d’émousser le plaisir que suscite en général la lecture des fables.

LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DE STRUCTURATIONS DANS LE CORBEAU ET LE RENARD : UNE ARCHITECTURE COMPLEXE

Le tableau ci-dessus illustre avec Le corbeau et le renard le fait que les différents niveaux de structuration sont articulés de manière complexe.

On voit par exemple combien les quatre premiers vers sont trompeurs, avec les alternances complémentaires des rimes et des mètres et les parallélismes syntaxiques qui donnent à ces vers le statut de quatrain introductif. Or cette cohésion vise uniquement à introduire au monologue du renard, central pour l’action, et non à distinguer la situation initiale, laquelle correspond aux seuls deux premiers vers, comme en témoigne le changement de temps grammatical « tenait »/ « tint ». C’est sans doute une des raisons pour lesquelles les élèves, en général parfaitement capables dans leurs reformulations de retrouver la structure narrative de cette fable, éprouvent plus de difficulté à en retrouver les composantes dans le texte lui-même.

Contrairement à ce que les quatre premiers vers pouvaient laisser présager, les groupes rimiques ne coïncident pas nécessairement avec des vers de même nombre syllabique, aucun de ces deux niveaux ne se superposant par ailleurs aux autres divisions du texte (narration/monologue, groupes de propositions, schéma narratif). La versification contribue au contraire tantôt à l’enchaînement de séquences hétérogènes, tantôt à intégrer de la diversité dans des séquences textuellement homogènes. On peut remarquer en effet d’une part que le début du monologue du renard ne s’accompagne pas d’un changement de mètre (vers 4 et 5), tout comme le passage de la fin du même monologue au récit (vers 9 et 10) ; et que le vers 9 qui clôt le monologue est le premier vers d’un groupe rimique concernant pour l’essentiel des vers du récit ; d’autre part le second monologue est réparti sur la fin d’un alexandrin, un vers de sept syllabes, un décasyllabe et un alexandrin.


MORALES ET RÉCITS

ans une fable, le récit, jamais autosuffisant, n’est pas donné pour lui-même mais pour sa capacité à illustrer un propos de portée générale (...l’histoire, encor que mensongère, / Contient des vérités qui servent de leçons. écrit La Fontaine). On peut donc envisager un enchaînement du type argument/ conclusion entre les deux composantes du texte.

Dans sa relation avec la morale, le récit peut aussi bien être considéré comme l’équivalent d’un exemple rhétorique (ce détour narratif, ici fictionnel, qu’il est souvent commode d’utiliser en argumentation) que comme l’équivalent de l’illustration figurée et symbolique des « emblèmes ». Ce genre très prisé à la Renaissance (dans lequel une image, précédée d’un court texte d’intitulé et suivie de quelques vers qui en donnaient le sens, était offerte à l’interprétation du lecteur) inspira d’ailleurs La Fontaine pour quelques fables (en particulier les Emblèmes d’Alciat). Il semblerait d’ailleurs que le rapport entre l’emblème et la fable ait été clairement perçu par la Fontaine, lequel, dans la préface de son édition de 1668 des Fables , écrivait que l’apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l’une le corps, l’autre l’âme. Le corps est la fable ; l’âme la moralité. Or, c’est la même métaphore qui servait à décrire l’emblème au XVIe siècle, l’image en étant « le corps », et « l’âme » étant constituée de la sentence qui servait de titre et du texte qui explicitait le sens moral.

La position textuelle, initiale ou finale, de la morale, a son importance.

- Dans le premier cas le texte suit un mouvement du général au particulier : à la morale, présentée comme une vérité universelle régissant (ou devant régir) les relations entre les hommes, succède un récit qui se veut (parfois explicitement : Nous l’allons montrer tout à l’heure), sinon une validation, du moins une illustration exemplaire de la règle énoncée au départ. Il y a donc une attente que le récit devra satisfaire.

- Dans le second cas, plus fréquent, la morale conclusive est la généralisation d’une expérience singulière, celle de l’histoire racontée. Ce dernier cas, où la morale est présentée comme étant déductible par inférence, favorise bien sûr chez le lecteur familier du genre tout un travail d’anticipation sur la « leçon » à venir. Le récit est alors comme une énigme qu’il s’agit de déchiffrer en trouvant la bonne « solution » (ou les solutions, puisque La Fontaine tire parfois plusieurs leçons d’une fable), et dont la morale constitue la « clef ». Une autre attente est ainsi créée, qui peut d’ailleurs être frustrée dans les fables où aucune morale n’est explicite à la fin.

- Et enfin, dans d’autres cas, la morale, ou « les » morales, encadre(nt) le récit.

Par ailleurs, chez La Fontaine, les fables se différencient selon que la morale est ou non nettement isolée du récit, et, dans la négative, selon qu’elle est énoncée par le narrateur ou par un personnage.

On peut aussi distinguer les moralités selon le type d’acte de langage qu’elles réalisent : mise en garde (Trompeurs, c’est pour vous que j’écris : Attendez-vous à la pareille), constat du caractère injuste de la réalité (La raison du plus fort est toujours la meilleure), recommandation d’une règle de conduite (Rien ne sert de courir ; il faut partir à point...). Ceci permet de remarquer que sorties du contexte de la fable, les moralités se prêtent plus ou moins bien à une utilisation proverbiale ou sentencieuse et que cela dépend en partie du degré d’effacement du narrateur et des destinataires.

Mais la compréhension globale de la fable, morale incluse, passe nécessairement par celle de l’histoire racontée, c’est à dire la scène initiale plus ou moins problématique, les personnages en présence, les actions, les enjeux, le dénouement, la situation finale. Or, il se trouve que les fables, par leur brièveté et leur vivacité, ne se prêtent pas aussi aisément que le conte à une délimitation claire des composantes du récit. D’une part, il n’est pas toujours facile de comprendre que les dialogues sont souvent partie intégrante de l’action elle-même, ou en tiennent lieu, en particulier dans Le loup et l’agneau ou dans Le corbeau et le renard, et il semblerait d’autre part que la mise en vers contribue fortement, avec un art subtil des transitions métriques et des enchaînements rimiques, à l’homogénéisation de l’ensemble du texte.

Rappelons simplement sur ce point que le récit est une représentation d’actions et qu’il présente une structure ternaire dynamique : une situation passe d’un état 1 à un état 2 sous l’effet d’une série d’événements, ce que l’on décrit généralement à l’aide des schémas superposables :

Situation initiale/ transformation (agie ou subie) / situation finale ;
AVANT/ PROCES /APRES ;
« commencement »/ « milieu »/ « fin ».

Jean-Michel Adam quant à lui voit dans une séquence narrative la structure quinaire hiérarchique et symétrique suivante :

Situation initiale (orientation)- nœud déclencheur- action ou évaluation- dénouement- situation finale

L’enchaînement des temps verbaux constitue généralement un critère fiable pour la compréhension du schéma narratif. Dans les fables, cet enchaînement ne suit pas nécessairement un ordre de présentation standard avec une situation initiale à l’imparfait et les transformations au passé simple ou au présent de narration, comme Le renard et le bouc ou Le loup et l’agneau dont les imparfaits initiaux sont immédiatement suivis de passés simples. Certaines fables en effet s’ouvrent sur une phrase au passé simple (les quatre premiers vers de La cigale et la fourmi), indiquant ou bien que la situation initiale constitue elle-même un événement problématique dont les causes ou les circonstances ne sont pas toujours explicitées, ou bien une absence complète de situation initiale, la fable démarrant d’emblée sur le nœud déclencheur de l’action.

La claire distinction entre la situation initiale et le déclencheur n’étant pas toujours aisée, voire étant impossible, on aura compris que la prudence est requise quand il s’agit de proposer aux élèves un repérage systématique de tous les éléments constitutifs d’une séquence narrative, d’autant que la disposition graphique des groupements de vers (par les rimes ou par les mètres) n’est pas de nature à en favoriser la perception. Tout au plus permet-elle d’isoler la morale dans certains cas par la présence d’un blanc.


LA DÉSIGNATION DES PERSONNAGES, ET AUTRES DIFFICULTÉS LIÉES A LA LECTURE DES FABLES DE LA FONTAINE

ne fois que l’on s’est assuré que les conditions matérielles de la lisibilité ont été garanties, les difficultés de compréhension rencontrées à la lecture des fables peuvent avoir plusieurs sources. Certaines sont liées aux contraintes que la mise en vers impose à la syntaxe, qu’il s’agisse d’inversions du type « sur un arbre perché » ou « par l’odeur alléché », ou d’appositions de compléments :

Du palais d’un jeune lapin
Dame belette, un beau matin,
S’empara : c’est une rusée.

La langue du XVIIe siècle, ou la présence d’expressions dont l’usage a disparu ou s’est raréfié, peuvent en outre faire obstacle, tant sur le plan lexical que syntaxique. Pour le lexique c’est sans doute le cas dans Le corbeau et le renard avec « ramage », que les élèves n’entendent pas plus que les « hôtes de ces bois », et l’on sait d’expérience que le « brouet », dans Le renard et la cigogne, ne leur est pas si clair que ça ou que les « reliefs »...fussent-ils « d’ortolans » sont plus digestes aux rats qu’aux enfants. Et l’on songe pour la syntaxe à l’absence de déterminants pluriels dans certains groupes nominaux ("Rats en campagne aussitôt... " ; "Bon appétit surtout, renards n’en manquent point."...), et à l’usage des pronoms ( place inhabituelle ou emploi disparu de certains tours avec l’impératif) :

Je l’allais aborder, quand d’un son plein d’éclat
L’autre m’a fait prendre la fuite. (Le cochet, le chat et le souriceau)

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore. (Le lièvre et la tortue)

Prends ton pic et me romps ce caillou qui te nuit.
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? - Oui, dit l’homme. (Le Chartier embourbé)

La scène évoquée peut aussi être difficilement représentable à cause des différences qui séparent les élèves d’aujourd’hui du mode de vie et des techniques du temps de La Fontaine, étroitement dépendants du monde rural (que l’on songe par exemple à l’omniprésence du cheval à la campagne et à la ville...). De ce point de vue, Le chartier embourbé présente un vocabulaire spécifique à un univers étranger à beaucoup, et les noms des poissons dans Le Héron ou Le petit poisson et le pêcheur n’évoquent rien aujourd’hui à de nombreux élèves de milieux urbains.

Mais ce sont aussi les modes de désignation, et en particulier les reprises anaphoriques, pronominales ou nominales, qui peuvent poser problème. Leur rôle dans la cohésion textuelle étant déterminant, une difficulté locale d’interprétation de certains désignateurs peut nuire, notamment en empêchant ponctuellement l’identification de personnages, à la compréhension globale du texte.

La première désignation des personnages peut-être de nature à ne pas favoriser d’emblée leur identification au début du poème, comme avec les figures de style suivantes :

Un ânier, son sceptre à la main,
Menait, en empereur romain,
Deux coursiers à longues oreilles.

(L’âne chargé d’éponges et... )

L’oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l’affaire,
Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l’heure autant faire.
(Le corbeau voulant imiter l’aigle)

Ou alors, les substituts pronominaux ou nominaux ont des antécédents pas toujours repérables. S’il n’est pas trop difficile pour un élève de comprendre que « sa proie », « cette emprunteuse », « cet animal plein de rage » et « cette bête cruelle » sont des expressions qui désignent, respectivement, en les requalifiant, le fromage, la cigale et le loup, il est sans doute moins facile d’identifier le référent des expressions suivantes qui sont tantôt des recatégorisations, tantôt des synonymes peu familiers aujourd’hui, ou alors des noms propres dont l’emploi générique s’est perdu, ou encore des pronoms de reprises usuels dont les élèves ne maîtrisent pas toujours l’usage :

La cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
(Le renard et la cigogne)

Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
« Achevons tout notre rôt.

- C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
(Le rat des viles et...)

L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
(Le loup et le chien)

Un vieillard sur son âne aperçut en passant
Un pré plein d’herbe et fleurissant :
Il y lâche sa bête, et le grison se rue
Au travers de l’herbe menue,
(Le vieillard et l’âne)

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger :
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
(Le lièvre et la tortue )

Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C’était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »
L’un et l’autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud, le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
(Le chat, la belette et...)

L’arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts
.
(Le chêne et le roseau)

Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L’autre était passé maître en fait de tromperie.
(Le renard et le bouc)

Et sans parler de « l’animal chassé du paternel logis » est-on certain que les élèves perçoivent instantanément que « le maître » et le « jeune lapin » sont le même personnage dans Le chat, la belette et le petit lapin ?

Du palais d’un jeune lapin
Dame belette, un beau matin,
S’empara : c’est une rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.

Sur ces phénomènes d’identification, la palme revient sans doute à La poule aux œufs d’or :

L’avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d’or
.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor :
Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

L’homme évoqué n’y est jamais désigné par une expression nominale et la poule n’est désignée par son nom usuel qu’une seule fois en plus du titre. Et en toute logique les autres poules évoquées (« celles dont les œufs.. ») ont un traitement pronominal « semblable » à « celui dont la poule... ». Il faut dire que l’on est dans un contexte caractérisé par le minimalisme narratif et que cette abondance de pronoms concoure habilement, à côté de la brièveté du récit, des trois seules phrases, et de l’absence de dialogues, à la concision d’un texte dans lequel La Fontaine semble avoir délibérément pris le contre pied de la profusion verbale pour argumenter (« chichement » donc) sur les effets de l’avarice. Où l’on voit que le deuxième et le troisième vers, avec l’expression "Je ne veux...que", explicitent tout autant la forme que le contenu...

Il est alors assez difficile pour les élèves de comprendre que l’expression pronominale complexe « celui dont la poule, à ce que dit la fable, /Pondait tous les jours un œuf d’or », qui fonctionnerait dans d’autres contextes plutôt comme une reprise, n’a en réalité pas d’antécédent et qu’elle est elle-même l’antécédent des deux occurrences de « il ». Ils sont par ailleurs confrontés, dans une phrase complexe, à un usage inhabituel du verbe vouloir et du pronom « le » dans « Je ne veux, pour le témoigner, / Que celui dont la poule », à partir duquel ils doivent reconstruire une lecture du type « Pour en témoigner, il me suffit de l’histoire de l’homme dont la poule... » ou « Je n’en veux pour preuve que la fable où... ».


On aura compris l’importance des reformulations et de la paraphrase. Déconseillée à l’écrit au lycée dans les commentaires pour sa vacuité explicative , la paraphrase ne peut qu’être encouragée dans ces moments de débats oraux sur l’interprétation des textes car c’est par ce biais que les élèves confrontent leurs lectures, résument ce qu’ils ont compris. On ne saurait donc abandonner une pratique encouragée dès le cycle 2 de l’école élémentaire et qui constitue une compétence attendue à la fin du cycle 3 (après avoir entendu un texte (texte littéraire ou texte documentaire) lu par le maître, le reformuler dans son propre langage, le développer ou en donner une version plus condensée)
 :

Le maître guide les élèves dans leur effort de compréhension. Il les engage à reformuler ce qu’ils ont compris avec leurs propres mots, puis, par un dialogue attentif, il les conduit à combler les lacunes ou les erreurs qu’il constate.

Les erreurs d’interprétation, les oublis renvoient souvent à des passages qui n’ont pas été compris. Relire ne suffit donc pas à dépasser les difficultés. Un dialogue doit s’engager entre l’enseignant et les élèves pour, en s’appuyant sur ce qui est connu, construire des représentations claires de ce qui ne l’est pas encore. Ce travail ne peut être conduit seulement avec le grand groupe. Il doit être mené pas à pas avec chacun des élèves de manière à ne jamais abandonner ceux qui sont le plus loin de la culture littéraire. Même si le résumé reste à cet âge hors de portée de la plupart des élèves, une part importante du travail de compréhension doit porter sur la construction d’une synthèse aussi brève que possible du texte lu : de qui ou de quoi parle ce texte (thème) ? qu’est-ce qu’il dit (propos) ?
( Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? Cycle 2, Lecture « Comprendre les textes littéraires »)

Il est nécessaire, pour la compréhension de l’histoire racontée, de savoir en permanence de qui et de quoi l’on parle.
Il est alors utile d’encourager tous les repérages en suivant chaque personnage à la trace, quitte à utiliser un surligneur, et de produire des écrits de travail récapitulatifs relatifs aux différents modes de désignation, en distinguant les antécédents des reprises, en recherchant des critères de classement (groupes nominaux et pronoms, par exemple) et en formulant des généralisations vérifiables. Les outils ainsi construits étant améliorables, et facilement exploitables pour la production d’écrits. L’observation réfléchie des textes est ainsi l’occasion d’une observation réfléchie de la manière dont sont utilisés les différents outils de la langue.

Le document d’application de 2002 indique également un autre intérêt de cette activité de repérage et de classement :

Les relations entre noms génériques et noms spécifiques sont extrêmement complexes. Jouer avec est certainement essentiel. On voit comment on peut conduire les élèves à des exercices simples d’interprétation des substitutions nominales mais aussi à des jeux indéfinis : par exemple, retrouver l’extraordinaire bestiaire des substituts des noms d’animaux dans les fables de La Fontaine...

A l’inverse, il est aussi possible de lister pour chaque animal rencontré toutes les expressions employées, sans omettre de distinguer les emplois en discours de ceux du récit (par exemple les emploi du mot « majesté », utilisé par le narrateur avec « sa majesté fourrée » dans Le chat, la belette et le petit lapin, et par l’agneau avec « que Votre Majesté... »)

EXEMPLES

A : Les désignateurs et les reprises dans Le corbeau et le renard :

B : Les désignateurs et les reprises dans Le Loup et l’agneau :

Outre le fait que les cases 2 et 3 ont de fortes chances de rester vides dans tous les cas, et que les cases vides de la colonne centrale pour Le corbeau et le renard indiquent bien une absence de dialogue, des observations intéressantes peuvent ainsi être faites sur l’usage du « nous » dans « Nous l’allons montrer tout à l’heure », sur celui de « elle » dans les propos de l’agneau, et sur le passage au « vous » dans « vous ne m’épargnez guère, vous, vos bergers et vos chiens ». Ce type de tableau ne peut-il pas être utilisé « dans l’autre sens » en proposant une liste de contraintes à respecter pour l’écriture d’une fable ?

Par ailleurs on pourra en profiter pour réviser certaines évidences : on admet par exemple généralement que dans les récits, les personnages sont d’abord introduits avec des groupes nominaux indéfinis ou des noms propres, et qu’ensuite ils sont désignés par des formes de reprises telles que des GN définis, des noms propres ou des pronoms (Le loup et l’agneau est précisément un exemple assez prototypique de cet ordre). Pourtant certaines fables, et non des moindres, telles La cigale et la fourmi, Le chêne et le roseau, Le héron, Le lièvre et la tortue, constituent autant d’exemples où l’usage des définis dits « de notoriété » empêche de transformer cette régularité en règle absolument valable dans tous les cas. Dans Le chêne et le roseau, en particulier, outre que le premier vers est « Le chêne un jour dit au roseau », on a aussi :

Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque là dans ses flancs
.

où l’expression définie surlignée désigne de manière métaphorique et hyperbolique une entité particulière (un vent d’une force remarquable, une tempête) non encore nommée auparavant dans le texte ( même si « les vents » ou les « royaumes du vent » ont déjà été rencontrés), et n’est donc pas la reprise anaphorique d’un quelconque antécédent. Ces usages des déterminants définis contribuent pour une part non négligeable à la dimension « évocative » des fables, et des poèmes en général.

Rappelons enfin qu’il importe de distinguer tous les désignateurs des déterminants possessifs : ces derniers, même s’ils permettent de renvoyer au possesseur de l’entité désignée par le GN qu’ils introduisent (« ton frère » = le frère de toi, de l’agneau), ne constituent pas à eux seuls, comme tous les déterminants, des expressions référentielles. Les GN possessifs sont en revanche des expressions désignatives qui peuvent, selon les cas, être utilisées en antécédent ou en reprise (« Son frère entra. Elle le regarda. »/ « Paul aurait bien voulu lui parler, mais il savait bien que sa fille était vraiment décidée à rester seule »).

Les activités de classement sont ainsi l’occasion de distinguer, parmi toutes les expressions qui renvoient à un personnage, entre d’un côté les syntagmes nominaux et les substituts possibles qui le désignent ("un agneau", "te", "tu", "l’agneau", ...) et, de l’autre, les syntagmes nominaux possessifs qui désignent un autre référent en indiquant la nature de la relation (possessive en l’occurrence) qu’il entretient avec le personnage considéré ("ton frère", "votre ramage", "votre plumage").

Encore une fois, ce travail ne précède pas la lecture pas plus qu’il ne s’effectue au moment de la première rencontre d’une fable dont la lecture ne saurait avoir comme objectif premier de servir de prétexte à des activités de grammaire. Il n’en demeure pas moins que, comme tout texte, une fable peut être l’objet d’une observation attentive des marques linguistiques qui en assurent la cohésion et la cohérence.



LES SÉQUENCES DIALOGUÉES :
LA POLYPHONIE DES FABLES ET LA FONCTION PERSUASIVE

n évoque beaucoup la satire politique et sociale mais on n’insiste jamais assez sur le rôle et le pouvoir de la parole et sur l’importance du langage chez La Fontaine. Pourtant la parole des personnages est une composante essentielle (et souvent problématique) du contenu, de l’humour et de la vitalité des fables, comme La Fontaine l’indique lui-même :

Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau/ J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau ; /J’ai passé plus avant : les arbres et les plantes/ Sont devenus chez moi créatures parlantes. (Contre ceux qui ont le goût difficile, Livre II, 1).

Je chante les héros dont Esope est le père, /Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère, / Contient des vérités qui servent de leçons. / Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons : / Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes. /Je me sers d’animaux pour instruire les hommes. (A Monseigneur le Dauphin, adresse en vers qui ouvre le premier recueil)

Rappelons que le 17e siècle est « l’âge de l’éloquence » et de la conversation mondaine, et que la dimension rhétorique est doublement présente dans les fables.

- De manière interne, dans la mesure où dans les fables les dialogues abondent, et que les récits y mettent souvent en scène des discours.

- Et de manière externe puisque chaque fable a une orientation et une structure argumentatives en vue de la (les) morale(s) qu’elle prétend illustrer. La fonction illustrative et argumentative du récit est particulièrement perceptible dans les exemples suivants où le commentaire du narrateur, à la première personne, s’adresse à des destinataires explicites :

Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense. / Tout babillard, tout censeur, tout pédant, (L’enfant et le maître d’école)

Ce n’est pas aux hérons / Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte : / Vous verrez que chez vous j’ai puisé ces leçons. (Le héron)

Quelle chose par là nous peut être enseignée ? / J’en vois deux (Le lion et le moucheron),

La raison du plus fort est toujours la meilleure : / Nous l’allons montrer tout à l’heure. (Le loup et l’agneau),

Je tiens pour moi que c’est folie (Le petit poisson et le pêcheur),

L’avarice perd tout en voulant tout gagner. / Je ne veux, pour le témoigner, (La poule aux œufs d’or),

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris : / Attendez-vous à la pareille. (Le renard et la cigogne).

La Fontaine cherche à plaire, instruire et émouvoir, et donc à persuader, à l’instar de beaucoup des personnages auxquels il donne la parole. Ce qui distingue ces derniers les uns des autres, selon la fable, ce sont les intentions, plus ou moins bienveillantes, la capacité de jugement, le caractère (différent selon les stéréotypes choisis), le type d’auditoire auquel ils appartiennent ou auquel ils s’adressent (unique ou collectif, hiérarchiquement ou physiquement supérieur ou inférieur...), autrement dit les variables des situations de communication dans toute leur complexité cognitive et pragmatique et dont la diversité témoigne de la richesse des situations et des motivations du monde social humain observé par La Fontaine. C’est ainsi que les registres de langues varient selon les enjeux, les thèmes, et la position des personnages, et que les dialogues relèvent non seulement de la simple conversation, mais également des principaux genres « oratoires » du discours, qu’il s’agisse de délibérer en vue de rendre justice, de prendre une décision de nature politique pour un groupe, ou qu’il faille blâmer ou louer quelqu’un. Ce dernier point est également attesté, entre autres, par l’usage fréquent d’un vocabulaire étroitement associé aux usages sociaux de la parole (« harangue », « plaideurs », « contestants », « plaider », « sermon », « exhorter », discours », « débats »...)

Il faut bien dire pourtant que chez le « peuple croassant » des grenouilles, comme dans tout le bestiaire polyphonique et « babillard » auquel il faut parfois « rabattre le caquet », les usages de la paroles sont souvent ou inutiles et bavards, ou trompeurs, ou essentiellement guidés par les passions. Et ce n’est là ni une prouesse mineure des fables, ni l’un de leurs moindres paradoxes, que d’être des modèles de la littérature de salon et des chefs d’œuvre de l’art du langage, et pour nombre d’entre elles de contenir au cœur de l’action des dialogues ayant une issue telle que c’est leur présence même, et la parole en général, qui semblent être mises en question.


LE CORBEAU ET LE RENARD ET LA PERSUASION


Dans Le corbeau et le renard (la deuxième fable du Livre premier, faisant suite à La cigale et la fourmi) on peut d’ailleurs noter que dès le départ, la rime "langage/ fromage" et le parallélisme des constructions "Tenait...fromage/Lui tint...langage", en indiquant la différence de nature irréductible des deux protagonistes, signalent que tout est déjà joué d’avance et anticipent sur les modalités futures -langagières et rhétoriques en l’occurrence- de la ruse du renard. Le fait que la rime "langage/ fromage" signale une opposition est d’ailleurs confirmé plus loin par la paire de mots-rimes "ramage-plumage" dont l’équivalence rimique avec "fromage" contribue aussi bien à la distinction formelle du mot "langage" dans la série des quatre rimes en « age » qu’à l’exclusion « référentielle » du langage de la liste des attributs correspondants du corbeau. Et que dire de cette présence insistante dissimulée dans le premier vers du renard, à la virgule près succédant immédiatement à la première occurrence du mot « renard » dans la fable : Maître Renard, PAR L ’odeur alléché ?

La place du langage n’avait d’ailleurs pas échappé à Raymond Queneau dans Battre la campagne dont l’un des derniers poèmes est précisément une réhabilitation du corbeau, devenu sujet parlant.

LE LANGAGE CORBEAU

S’agitant sur un arbre
un marbre
noir. Il parle
car le
langage ne lui est pas étranger
il sait dire : attention danger
et même quelques mots plus rares
ne s’entretint-il pas dit-on avec le renard
à cette époque il est vrai il ne savait que chanter
maintenant il prononce des phrases entières et il s’en
montre enchanté

N’oublions pas que la « leçon » de cette fable porte précisément sur le caractère plus ou moins moral de certains usages de la parole. Dans Le corbeau et le renard, comme souvent chez La Fontaine, la morale est ambiguë. C’est d’ailleurs le renard lui-même qui l’énonce. Il s’agit bien de se méfier des beaux parleurs, et des flatteurs en particulier, mais de comprendre aussi que leur danger réside moins dans l’usage de l’intelligence et du langage en tant que tels que dans les intentions qui président à leur utilisation. Il vaut mieux de toute façon avoir la maîtrise de sa parole, d’autant que c’est un substitut idéal à la violence, ou, en l’occurrence, à une incapacité physique d’arriver à ses fins. Cette maîtrise impliquant bien sûr de savoir également se taire...On retrouve là une idée fondamentale de la tradition humaniste, celle de la supériorité de l’éloquence sur la force, qui n’implique pas, bien entendu, que la parole ne soit jamais exempte de violence ou d’usages spécieux.

Dans cette fable, il est clair qu’intelligence et discours sont liés et qu’au contraire l’absence de parole est associée à la sottise. La parole est en tout cas l’atout majeur du très humain renard, seul être parlant de la fable. Le corbeau a certes l’excuse de ne pouvoir parler, mais il a surtout le devoir de garder le silence, sous peine de se retrouver, comme la fourmi, la victime affamée de son propre chant. Mais son bec reste essentiellement l’organe de deux uniques fonctions, avoir (le fromage) et paraître, associées à des caractéristiques (naïveté, vanité, superficialité..) qui le rendent trop prompt à faire le beau pour la recherche de la gloire (un thème d’actualité).

On peut ajouter que sur le terrain des usages manipulateurs de la parole, la rhétorique publicitaire n’a aujourd’hui rien à envier à celle du renard. Il faut voir comme on nous parle... Ne nous renvoie-t-elle pas toujours une image flatteuse de nous-même, en nous disant, par exemple, que nous le valons bien ? Ne s’ingénie-t-elle pas à anticiper sur nos désirs supposés ? Ne mise-t-elle pas aussi sur le caractère prévisible de nos comportements ?

Je présente ici sous forme de questions quelques problèmes d’interprétation souvent rencontrés en classe. Ce n’est pas pour autant que j’ai effectivement posé moi-même toutes ces questions... et qu’il faille les poser, surtout sous cette forme. Disons que ça résume bien ce qui fait débat de manière récurrente depuis le célèbre jugement négatif de J.J.Rousseau sur cette fable.

    • En quoi la situation de départ est problématique pour le renard ? (il veut le fromage mais ne grimpe pas aux arbres...)
    • Quel moyen va-t-il utiliser pour le résoudre ?
    • Sur quoi compte-t-il pour réussir ?
    • Le renard est-il sincère quand il dit « sans mentir » ?
    • Le corbeau est-il à plaindre ?
    • Etait-il obligé de chanter ?
    • Pourquoi l’a-t-il fait quand même ?
    • Que penser de ses motivations ?
    • Le renard applaudi et admiré en est-il pour autant quitte avec la morale ?
    • Quand il prétend avoir été utile au corbeau et mérité son fromage, en quoi a-t-il raison ?
    • Est-il sincère à ce moment là ?
    • En quoi est-il paradoxal ?
    • Le fait qu’il était intéressé par le fromage annule-t-il, ou affaiblit-il la portée morale de sa leçon ?
    • A-t-il une bonne « pédagogie » ?
    • Peut-on donner une leçon à quelqu’un au prix de l’humiliation ?
    • Ne prend-il pas un malin plaisir à s’acharner sur sa « victime », en profitant de sa victoire pour donner « le coup de grâce » ?
    • Ne serait-ce pas au corbeau de tirer lui-même la leçon de ce qui vient de lui arriver ?
    • Quelle autre leçon le corbeau tire-t-il seul ?
    • Pourquoi La Fontaine a choisi que la morale de sa fable soit énoncée au corbeau par le renard lui-même, alors que son action n’est pas morale à 100% ?
    • Le renard a-t-il mangé le fromage ?
    • Doit-il le rendre ?
    • Pourquoi est-on systématiquement du côté du renard ?
    • Quel rapport avec La cigale et la fourmi ?


LE LOUP ET L’AGNEAU ET L’ARGUMENTATION

Le loup et l’agneau offre une occasion intéressante d’observer la parole argumentative en acte, avec l’agneau dont la raison et la capacité d’argumentation ne peuvent manifestement rien contre la mauvaise foi d’un loup essentiellement guidé par son instinct. Ce dernier accuse et menace, en tutoyant :

"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :<br<
Tu seras châtié de ta témérité.

tandis que l’agneau, poliment et très humblement, tente d’abord de l’apaiser

- Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;

et de placer le débat sur un autre terrain (Mais plutôt qu’elle considère) . Ce faisant, il entreprend d’argumenter (les termes en gras en témoignent) en montrant la fausseté des affirmations de son interlocuteur :

Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

Dans la suite du dialogue, le loup reste insensible à la série de réfutations pourtant imparables de l’agneau, et, en faisant mine d’argumenter à son tour (il utilise deux fois « donc », une fois « car »), formule son verdict (il faut que je me venge) à partir d’accusations non fondées (Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.) et basées sur des « on-dit » dont il ne cite pas les sources (Et je sais que de moi tu médis l’an passé./.../ On me l’a dit.) , et pour finir, sur une généralisation (C’est donc quelqu’un des tiens : / Car vous ne m’épargnez guère, / Vous, vos bergers et vos chiens. ) par laquelle, au bout du compte, le seul fait pour l’agneau d’être membre de son espèce est une circonstance aggravante. La fin est dans l’ordre des choses et indique que les loups ne sauraient être de bonne foi envers les agneaux quand ils s’essaient à l’argumentation, et qu’ils n’ont pas besoin d’autre justification de leurs actes que celle d’être les plus forts (les plus Grands ?). D’où la morale, dont on aura compris qu’elle n’est pas une apologie mais au contraire une dénonciation du comportement barbare des prédateurs. Et qui indique en outre, prise à la lettre, les limites de l’usage de la parole et de la raison quand le rapport de force (social et physique en l’occurrence) n’est pas favorable. Ce faisant elle offre peut-être à envisager la possibilité d’un monde social humain régi par d’autres lois...

On voit là le grand intérêt qu’il y a, à partir d’une telle fable (mais il y en a d’autres), de débattre en classe sur la valeur des arguments, sur les « formes de procès » justes et sur les parodies de justice, sur la protection des faibles, sur la recherche de la vérité, sur la parole et la violence, sur le rôle et le pouvoir du langage, et sur l’éthique qui devrait accompagner son utilisation. De comprendre ainsi qu’au quotidien la démocratie, la citoyenneté et l’argumentation ont partie liée quand bien même on ne débattrait pas de sujets philosophiques, et que de ce point de vue, on peut construire une vision de la parole moins pessimiste que celle de La Fontaine dans certaines de ses fables.

Sur ces questions essentielles et très actuelles (quelle place pour la parole à l’école ? expression de soi et argumentation, langage et violence ...), je conseille la lecture d’un ouvrage très instructif d’Emmanuelle Danblon, professeure à l’Université Libre de Bruxelles, Argumenter en démocratie, paru en 2004 en Belgique chez Labor. Entre autres réflexions d’un grand intérêt pour tous les enseignants, on rencontre dans un court chapitre intitulé « rhétorique et enseignement », la proposition programmatique suivante qui mérite notre attention : Réintégrer un enseignement systématique de l’argumentation à l’école peut être considéré comme l’une des urgences pour la démocratie du XXIe siècle. Apprendre la pratique rhétorique dès l’enseignement fondamental sous forme de jeux, de joutes oratoires, donnerait aux enfants un sentiment de liberté dans un usage intelligent de la parole dont ils se révéleraient rapidement capables.


La parole étant une composante de l’action dans de nombreuses fables, il est déterminant pour la compréhension du récit de savoir qui parle à qui, comment et pourquoi.

Il est utile bien sûr de travailler à la distinction narrateur/personnages et à la distinction des personnages eux-mêmes, mais également sur le statut (direct ou indirect) du discours rapporté, et sur le champ lexical de la parole.

Dans Le corbeau et le renard, par exemple, le discours rapporté est toujours direct pour le renard, et indirect pour le corbeau (le dernier vers est précisément au discours indirect alors que le corbeau a le bec libre...), et le lexique de la parole est systématiquement favorable au renard. Un écrit de travail possible, sous forme de tableau par exemple, est de distinguer sur ce plan les deux protagonistes : le renard « tint... ce langage », c’est « à ces mots » à lui que le corbeau réagit, il se saisit du fromage et « dit » sa « leçon »..., tandis que le corbeau « tenait... un fromage », « en son bec » qu’il « ouvre » uniquement pour « laisse(r) tomber sa proie » et montrer son « ramage »... L’observation des rimes peut être aussi l’occasion de « chercher l’intrus » dans la série « fromage-langage-plumage-ramage » et de remarquer leur fonction synthétique : par exemple, « ramage » et « fromage » se font écho en soulignant par ailleurs leur propriété commune d’être des attributs du bec du corbeau, et c’est précisément le passage de l’un à l’autre, recherché par le renard, qui sera fatal au corbeau.

La comparaison avec Le coq et le renard, montrera en revanche que les caractéristiques du vieux coq « adroit et matois », qui plus est « en sentinelle », donc actif, annoncent une tout autre fin pour le renard qui n’aura effectivement plus par la suite le monopole de la ruse et de la parole.

Sur la branche d’un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
« Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.

On pourra également travailler sur les verbes introducteurs de discours (dire, répondre, demander, alléguer, crier, répartir..., Tu la troubles, reprit cette bête cruelle) qui indiquent quels types d’actes de langage sont accomplis, et informent sur leurs modes d’accomplissements. Lister de tels verbes peut ensuite rendre de grands services pour la production d’écrits. Et leur prise en compte effective ne peut manquer d’avoir des incidences sur les lectures à haute voix et les interprétations.

Enfin, les fables se prêtent à l’échange d’idées et au débat argumenté : qu’il s’agisse d’en comprendre l’histoire, d’en interpréter la morale parfois problématique, de discuter des arguments utilisés par les personnages, de rechercher dans la vie courante ou dans la littérature d’autres exemples illustrant le thème d’une fable...les fables font réfléchir et parler, et donnent l’occasion aux élèves d’argumenter et de persuader à leur tour de la justesse de leur point de vue. Les fables sont ainsi l’occasion de comprendre et d’apprécier combien l’argumentation est une des fonctions essentielles du langage et un des modes qui en manifeste le plus sûrement la transversalité reconnue dans les programmes.


Indications bibliographiques

Sur la versification on peut lire Michèle Aquien 1993, La versification appliquée aux textes, Nathan, collection « 128 » et son Dictionnaire de poétique, Le livre de poche, collection « Les usuels de poche » ainsi que Brigitte Buffard-Moret 1997 Introduction à la versification, Dunod, collection « topos » et le très complet Jean-Michel Gouvard, La versification, PUF, collection « premier cycle ». Voir aussi Jean-Louis Joubert 2003, Genre et formes de la poésie, Armand Colin, collection « U ».

Sur le récit, on pourra lire Jean-Michel Adam et Françoise Revaz 1996, L’analyse des récits, Seuil, collection « Mémo » et sur les différents types de séquences textuelles le récent Jean-Michel Adam 2005, La linguistique textuelle, introduction à l’analyse textuelle des discours, Armand Colin, collection « cursus ».

Sur la littérature du point de vue de l’analyse du discours, le récent Dominique Maingueneau constitue une synthèse utile et innovante : Le discours littéraire, paratopie et scène d’énonciation, Armand Colin, collection « U ».

Sur l’argumentation et la rhétorique : Christian Plantin 1996, L’argumentation, Seuil, collection « mémo », Joëlle Gardes-Tamine, La rhétorique, Armand Colin, collection « cursus », Michel Meyer (éd.) 1999, Histoire de la rhétorique des grecs à nos jours, Le livre de poche, collection « biblio essais », Ruth Amossy 2000, L’argumentation dans le discours, Nathan Universités, collection « fac.linguistique », Emmanuelle Danblon 2004, Argumenter en démocratie, Labor, et 2006, La fonction persuasive, anthropologie du discours rhétorique, origines et actualité, Armand Colin, collection « U »


II : ÉCRIRE

n autre moyen de rendre plus assurée la compréhension d’un texte est d’articuler celle-ci avec un travail d’écriture. Il s’agit le plus souvent de prolonger un texte dont seul le début a été proposé, de transformer un épisode, de changer de personnage, de transporter le personnage principal dans un autre univers... La littérature de jeunesse offre de très nombreux exemples de pastiches et de détournements de ce type. (Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? cycle 2 « comprendre les textes littéraires »)

Les élèves ne sauraient s’improviser fabulistes. Il est difficile en particulier de distinguer la fable du conte et d’écrire une « histoire » dans le but d’illustrer une morale qu’il faut de surcroît expliciter à la fin. Les activités d’écriture supposent donc la lecture préalable de plusieurs fables et une connaissance de ce qui les caractérise et les différencie des autres textes narratifs.

Les mises en réseaux rendent de grands services à cet égard en montrant des versions non versifiées et plus concises de fables dont le canevas a servi de point de départ à La Fontaine ( Ésope par exemple), ou des réécritures ou transpositions modernes plus ou moins parodiques . Voir sur ce site Fables en échos et résonances poétiques.

Dans un premier temps les activités de réécriture ou de transposition de fables connues sont beaucoup plus faciles que celles de création, et dans ce dernier cas, l’écriture peut être grandement facilitée par des inducteurs tels qu’un titre ou une illustration.

Il sera nécessaire au début de rappeler dans les consignes que la morale devra être écrite au présent (dit « de vérité générale ») et de suggérer un temps pour le récit (passé simple ou présent de narration) ; d’encourager l’utilisation, en général non spontanée, de reprises nominales à la manière de la Fontaine et de demander l’utilisation de dialogues.

TRANSFORMATIONS

- réécrire en détournant, avec la méthode S+7 ou S+5 ou à partir d’une autre contrainte formelle comme le lipogramme ou une de ses variantes comme le monoclavisme : voir les sites Oulipo et FATRAZIE ainsi que les Affabulations et La fontaine aux fables fictives de Nicolas Graner . Voir aussi La grenadine qui se veut faire aussi grosse que le bobsleigh sur Franc-parler.org, ou comment La Cimaise et la Fraction de Queneau a été exploitée par les élèves de Cycle 3 de l’école de La Bastidonne
.
- travailler les registres de langue à partir d’une version en argot et réécrire dans un registre familier
- réécrire une fable en prose en gardant les personnages et l’histoire
- réécrire une fable dans une version « moderne », avec d’autres personnages (objets ou humains par exemple), en conservant l’intrigue.
- Fables à l’envers ou contrefables : La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf se prête par exemple assez bien à un renversement, compte tenu de la recherche contemporaine de la minceur à tout prix (voir un exemple de travaux d’élèves sur La Fontaine.net et sur le site de l’école d’Anzin )
- passer du discours indirect au discours direct (insérer des dialogues) et inversement. Par exemple avec Le cochet, le chat et le souriceau dont la fable commence précisément par "voici comme il conta l’aventure à sa mère", continuer au discours indirect à la troisième personne.
- changer de point de vue : faire raconter par le renard le bon tour qu’il a joué au corbeau...
- inverser les caractéristiques des personnages ou d’une situation : un loup gentil/un agneau méchant, une cigale riche qui veut placer son argent, un corbeau malin... (voir Jean Anouilh ou le Queneau de Battre la campagne)
- voir La saga du corbeau et du renard sur La Fontaine.net et le site des enfants d’Anatole

TRANSPOSITIONS GÉNÉRIQUES

- en pièce de théâtre : suppose d’abord que l’on joue une fable, ce qui implique déjà une réécriture minimale (avec par exemple la suppression des verbes introducteurs de discours). On peut compléter par l’ajout de scènes dialoguées ou la prolongation de celles existantes, l’introduction de didascalies...
- en fait divers
- en album
- en BD : voir par exemple F’murr, Au loup !

CONTINUATIONS

- imaginer la vengeance du corbeau
- écrire l’interview du corbeau après sa mésaventure, ou sa déclaration à la police...
-écrire les interviews d’avant départ et d’après course du lièvre et de la tortue par des journalistes sportifs... (voir là encore La Fontaine.net )
- la suite de Le renard et le bouc : comment sort-il du puits ?
- terminer une fable dont on a la situation de départ et les personnages
- écrire une morale à partir d’une fable d’Esope ou d’un autre texte

IMITATIONS : ÉCRIRE D’AUTRES FABLES

- élargir le bestiaire : choisir des animaux absents chez La Fontaine, essayer de leur attribuer un trait de caractère en fonction de ce que l’on connaît de leur mode de vie et de leurs caractéristiques physiques, et écrire une fable.
- écrire une fable à partir d’un incident, d’un fait divers, d’un poème, d’un album...
- écrire une fable à partir du titre d’une fable non connue d’Ésope ou de La Fontaine, ou après avoir choisi deux animaux au hasard, ou à partir d’une morale ou d’illustrations existantes, à partir d’un proverbe...
- idées précédentes avec en plus la recherche de rimes (voir les production d’élèves du Morbihan sur la présentation du Cdrom Pédagogies de la lecture, de la maternelle à la sixième sur le site du CNDP )

COPIER, ENTIEREMENT OU PAR FRAGMENTS, OU SAISIR AVEC UN TRAITEMENT DE TEXTE

- excellent pour travailler la disposition graphique, les marques du discours direct (guillemets) et le respect des contraintes de formatage du genre (passages à la ligne obligatoires, majuscules en début de vers, alinéas indiquant la différence de longueur des vers...).
- cela permet aussi de travailler sur la différence vers/phrase, et sur les caractéristiques de ce type de poème (vers mêlés, absence de régularité strophique, mais toujours rimes...).
- le tout peut en outre s’inscrire dans des projets où la calligraphie ou la présentation écrite du travail jouent un rôle majeur : confection d’un recueil de fables pour la classe, d’une anthologie personnelle, d’un panneau, d’un dossier La Fontaine, d’une page web, d’une transposition en BD ou en album illustré...


III : DIRE LES FABLES

LIRE À HAUTE VOIX, SEUL OU À PLUSIEURS

L S’AGIT ICI DE LA LECTURE À HAUTE VOIX POUR AUTRUI, NON CELLE UTILISÉE PAR L’ÉLEVE POUR S’AIDER À UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DU TEXTE, OU REQUISE PAR LE MAÎTRE POUR ÉVALUER LA MAÎTRISE DE LA LECTURE.

Dans cette optique, les Documents d’accompagnement des programmes précisent :

Il faut avoir lu et compris le texte pour pouvoir le lire à haute voix, il faut décider de ce que l’on veut faire comprendre, voire ressentir, à son auditoire. On ne demandera donc jamais aux élèves de lire d’emblée un texte à haute voix, mais on leur laissera systématiquement un temps de lecture préalable. (Lire et écrire au cycle 3, Documents d’accompagnement des programmes, 2003 , scérén, [CNDP], p.10)

et récapitulent les compétences requises pour cette pratique dans le tableau suivant :

Pour une fable comme Le corbeau et le renard, par exemple, on peut encourager à :

- saisir le rythme et réaliser des liaisons non spontanées ("tenait en", "lui tint à peu près", "vit aux dépens", "vaut bien un fromage", "honteux et confus", "mais un peu tard").
- distinguer le narrateur et le renard...
- prendre en compte le discours direct et tenir compte de la situation, qui implique que l’efficacité de la ruse du renard repose sur sa capacité à bien parler pour « embobiner » le corbeau
- ne pas déformer le texte, et tenir compte du fait que La Fontaine écrit « Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie », sans le « et » après « bec », que les élèves ont tendance à prononcer bien qu’ils ne l’aient pas lu (en supprimant d’ailleurs le « e » final de « laisse » afin de rétablir l’équilibre de l’alexandrin 6+6 !). La Fontaine montre ainsi, en séparant deux hémistiches parfaitement égaux par une simple virgule, l’effet automatique et instantané de l’ouverture du bec, alors que le « et », avec son interprétation temporelle possible (équivalent à « puis »), atténue l’effet obtenu par la concision.

Il ne semble pas nécessaire en revanche de « surexploiter » les effets mimétiques de cette fable croassante sauf à vouloir donner dans le burlesque. L’affaire est pourtant tentante, si l’on en juge par le mot-rime « fromage » qui semble générer à la rime la série « corbeau/beau/ramage/plumage », et si l’on est sensible au fait que La Fontaine n’a pas manqué de jouer plus largement sur les assonances en « o » et « a » et sur les allitérations en « r » et « c » dans les deux premiers tiers de sa fable.

Maître Corbeau, sur un arbre perché,/

Tenait en son bec un fromage./

Maître Renard, par l’odeur alléché,/

Lui tint à peu près ce langage :/

« Et Bonjour, Monsieur du Corbeau./

Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !/

Sans mentir, si votre ramage,/

Se rapporte à votre plumage,/

Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »/

Avec les élèves, on pourra limiter ces observations sur « le travail du signifiant » aux mots « corbeau » et « renard » et aux mots-rimes « fromage » et « proie » particulièrement propices à l’imitation du corbeau, lequel ne peut par ailleurs s’autoriser que d’un "laaarge bec" inutile pour tout "langage".

Pour Le loup et l’agneau, on encouragera évidemment à faire sentir l’opposition entre la soumission, la politesse et le souci de la vérité de l’un et la brutalité et le ton menaçant de l’autre.

MÉMORISER EN VUE D’UNE INTERPRÉTATION

La difficulté dans l’interprétation d’un texte mémorisé (la récitation) réside dans le transfert, sans pertes, des compétences attendues pour la lecture à haute voix, dans une situation où l’élève n’a plus sous les yeux les indices qui lui servent de guide. Il (elle) doit non seulement restituer le texte sans erreurs mais aussi le rythme, les pauses, les moments forts, ajuster son débit, souvent trop rapide, et le ton, parfois monotone parce que l’élève privilégie souvent l’exactitude au détriment de l’interprétation...D’où l’intérêt des lectures oralisées préalables, et réellement préparatoires à une récitation réussie. Sans oublier que la performance rejoint ici celle de l’acteur, y compris dans la dimension corporelle : la position et l’exposition du corps, le jeu des mains, le regard, y sont très différents de ce qu’ils sont en activité de lecture, même quand celle-ci a lieu debout, avec ou sans pupitre.

- L’idéal en l’occurrence serait d’avoir des enregistrements vidéo ou audio d’interprétations réussies d’acteurs ou d’autres élèves et de s’en inspirer, ou d’aller voir un spectacle quand l’occasion se présente. On peut par exemple se procurer aux éditions Thierry Magnier, coll. Livre+CD, les fables racontées par L.Wilson, S.Flon, C.Piéplu et M.Lonsdale, illustrées par P.Bellot. Ou encore le CD « Les Fables de La Fontaine », 2004, lecture des fables par Jean Rochefort et pistes pédagogiques rédigées par Michel Boiron, CIEP, disponible auprès du ministère des Affaires étrangères.
- Par ailleurs tous les projets d’enregistrement audio (la « compil poétique » de la classe par exemple) ou de représentation publique (filmée ou non) face à d’autres classes ou aux parents, sont propices à améliorer les performances des élèves en matière de récitation, en y ajoutant un enjeu. Toutes les transpositions et tous les accompagnements également : mise en musique (voir, d’Any et J.M. Versini, Les fables de La Fontaine en chanson, CDrom Gallimard), mime, marionnettes, rap (il existe depuis le tricentenaire des versions chantées disponibles sur le marché...) où l’on peut jouer à plusieurs et imaginer une mise en scène minimale.
- A la différence de la récitation qui réclame une restitution exacte et intégrale du texte, le jeu théâtral résulte d’une transposition de la fable-poème en pièce à jouer. Il exige donc une réécriture préalable qui privilégie le texte des séquences dialoguées même si un élève peut tenir le rôle du narrateur. Dans ce cas, il est préférable de ne dire que les séquences narratives longues et la morale et d’éliminer les indications du type « répond l’agneau », « reprit cette bête cruelle », « lui dit-elle », « dit-elle à cette emprunteuse », qui parasiteraient le dialogue par des interventions peu naturelles et par ailleurs redondantes puisque le spectateur, qui voit et entend les personnages en action sait parfaitement qui parle à qui. Quant à une indication comme « Le renard s’en saisit et dit :... » elle peut avoir le statut d’une didascalie en indiquant à l’acteur ce que fait le renard avant de parler. Il devient inutile alors de lire ce que l’on voit l’acteur faire. La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf se prête particulièrement bien à l’utilisation du mime et à la recherche de l’expression, par le corps et la voix, de ce que le texte ne fait qu’évoquer (l’éclatement de la grenouille, son ridicule, l’attitude méprisante et moqueuse du second personnage...)


Ce matin-là de mars, veille des vacances de Pâques, un agneau se désaltérait tranquillement dans le courant d’une onde pure. La semaine précédente, j’avais appris que tout renard flatteur vit aux dépens du corbeau qui l’écoute. Et la semaine encore antérieure, une tortue avait battu un lièvre à la course...

Vous avez deviné : chaque mardi et chaque jeudi, entre neuf et onze heures, les animaux les plus divers envahissaient notre classe, invités par notre professeur. La toute jeune Mademoiselle Laurencin aimait d’amour La Fontaine. Elle nous promenait de fable en fable, comme dans le plus clair et le plus mystérieux des jardins.

- Écoutez-ça , les enfants :
.../...

Laurencin, en récitant, rougissait, pâlissait : c’était une véritable amoureuse.

-Vous vous rendez compte ? En si peu de lignes, dessiner si bien l’histoire...Vous la voyez la grenouille envieuse, non ? Et le moucheron chétif, vous ne l’entendez pas vrombir ?

[Suit l’arrivée de Madame Jargonos, IPR de lettres....qui prends le cours en route et écoute.]

-Je vois, je vois...De l’imprécis, de l’à-peu-près...De la paraphrase alors qu’on vous demande de sensibiliser les élèves à la construction narrative : qu’est-ce qui assure la continuité textuelle ? A quel type de progression thématique a-t-on ici affaire ? Quelles sont les compositions de la situation d’énonciation ? A-t-on affaire à du récit ou à du discours ? Voilà ce qu’il est fondamental d’enseigner !

Ces extraits de La grammaire est une chanson douce égratignent certes un peu trop férocement les programmes de français du collège, mais préviennent salutairement contre le manque d’enthousiasme et l’excès de technicité dans l’enseignement de la littérature, dont on aura compris qu’Eric Orsenna le préfère mis en œuvre par les amoureux fervents plutôt que par les savants austères.

J’insiste à mon tour : l’objectif est de parvenir à faire tenir ensemble le plaisir de lire, de raconter et d’écouter les fables et l’observation attentive de certaines dimensions des textes qui méritent examen, en évitant d’utiliser les fables comme prétextes à l’utilisation d’un jargon incompréhensible. Et si Le loup et l’agneau est bien une illustration exemplaire du dialogue argumentatif, ce n’est pas à ce titre qu’elle est lue à l’école élémentaire et au collège.


Commentaires  Forum fermé

Dire, Lire, Ecrire les Fables ...
lundi 2 février 2009 à 17h06

je ne dirais q’une seule chose : bravo et merci

un élève de première L

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> Dire, Lire, Ecrire les Fables ...
mardi 20 novembre 2007 à 20h47 - par  Yannick Nédélec

Bonjour,
Je viens de découvrir votre travail très intéressant et approfondi sur les fables. J’ai vu d’ailleurs que dans un autre de vos articles s’était heureusement glissé un lien vers mon site d’auteur (plus précisément vers la page consacré à "La revanche du corbeau", mon spectacle de fables). Je vous propose un échange un peu plus conséquent en découvrant le blog que je viens de créer (voir adresse ci-jointe).
J’ai également rédigé un document assez long sur l’interprétation des fables, s’appuyant sur les bases techniques de comédien. Je tiens ce texte à votre disposition si vous le désirez.
Avant de créer mon spectacle, j’étais un peu sceptique sur l’intérêt du public d’aujourd’hui pour cet art un peu démodé de la fable. Au bout d’un an de tournée, c’est un vrai bonheur ! Un spectateur sur trois en moyenne achète le livre à la sortie, et l’enthousiasme soulevé prouve bien que ce genre littéraire ne demande qu’à renaître, et qu’il y a bien un public potentiel las de chansons niaises et de sketches racoleur. Moralité : vive les fables, et que des gens comme vous et moi continuent à les mettre en avant !
Cordialement.

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jeudi 28 mai 2009 à 11h04 - par  Philippe Rocher

Je viens de regarder à nouveau votre Blog très intéressant et je serais ravi de prendre connaissance du document que vous proposez de mettre à ma disposition. Désolé pour la réponse très tardive, mais j’étais en fait persuadé de vous avoir déjà répondu depuis longtemps. cordialement P.R.