Remplacements sur Epinay - Les parents saisissent la Halde

mercredi 16 mars 2011

Après plusieurs semaines de mobilisation pour dénoncer des absences non remplacées d’enseignants, les parents d’élèves d’Epinay saisissent la Halde, pour "discrimination territoriale".

Voir sur le blog de la FCPE d’Epinay

Monsieur Eric Molinie
Président de la HALDE
11 rue Saint-Georges
75009 Paris

Epinay-sur-Seine, le 15 mars 2011
Monsieur le Président,

Bien qu’une discrimination soit une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi, dans un domaine visé par la loi, nous, parents d’élèves d’Epinay-sur-Seine FCPE, saisissons la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité au motif d’une discrimination territoriale.

Il apparaît clairement que les établissements scolaires du 1er degré d’Epinay-sur-Seine (93) ne bénéficient pas du même traitement que les autres établissements scolaires. Notre territoire bénéfice certes de politiques de « discrimination territoriale positive » de type Zone d’Education Prioritaire. Mais les inégalités qu’il subit en matière de répartition de moyens en atténuent largement les effets bénéfiques.

Bien qu’il existe des difficultés, et notamment un problème de remplacement des enseignants absents dans d’autres communes que la notre, ce phénomène prend une ampleur sans précédent à Epinay-sur-Seine, où 84% des « courtes » absences des enseignants du premier degré depuis septembre 2010 ne sont pas remplacées.

Les parents d’élèves d’Epinay-sur-Seine FCPE signataires de la saisine sollicitent la Haute Autorité pour :

- étudier et comparer la situation des remplaçants du premier degré à Epinay-sur-Seine avec celles d’autres territoires. D’une manière plus globale, comparer les remplacements d’enseignants dans la Seine Saint-Denis aux remplacements des autres départements de la région Ile de France

- faire des recommandations au Ministère de l’Education Nationale, en ce qui concerne notamment les modalités de gestion des remplaçants, afin de corriger l’inégalité territoriale constatée

- appuyer leur demande de résolution immédiate du problème de remplacement des enseignants sur la ville et le département, qui en proportion et en durée est spécifique à la Commune d’Epinay-sur-Seine

A Epinay-sur-Seine, depuis la rentrée scolaire 2010-2011, les absences des enseignants du premier degré atteignent 750 jours (hors congés maternité et longues maladies). 120 jours d’absence seulement ont été remplacés, soit 16%, tandis que 630 ne l’ont pas été, soit 84%. Pour quelques jours consécutifs parfois, mais aussi sur de longues périodes, allant jusqu’à trois semaines pour la même classe (écoles Romain Rolland et Jean Jaurès par exemple).

Ces chiffres sont stupéfiants. En effet, 750 jours divisés par 28 écoles sur la ville correspond à une moyenne de 22,5 jours d’absence par école depuis la rentrée (sur 90 jours de scolarité depuis la rentrée de septembre jusqu’à aujourd‘hui). Ces chiffres concernent aussi bien les écoles élémentaires que les écoles maternelles.

Cette carence du service public de l’éducation frappe une population populaire (12 000 € environ de revenu annuel médian par personne dans la commune) et étrangère à près de 25 %. Une population qui aurait besoin au contraire que l’Etat investisse tout particulièrement pour son éducation, son intégration, sa promotion sociale.

En tant que parents d’élèves, mobilisés pour l’avenir des enfants, nous sommes choqués de constater l’ampleur du phénomène des absences non remplacées. Nous avons été interpellés par l’importance du chiffre (84% !) et nous avons été conduits à nous interroger. Les difficultés de remplacement seraient-elles les mêmes sur tout le territoire ? Cela paraît difficilement croyable ; de nombreux parents, de nombreux responsables politiques auraient déjà fortement protesté.

Nous avons échangé, parlé autour de nous, à nos collègues, à nos amis. Des difficultés de remplacement, il en existe dans de nombreux endroits. Mais nous n’avons pas eu écho d’un autre cas d’une telle ampleur. Nous savons que cette question concerne beaucoup de territoires en France mais pas proportionnellement autant que le nôtre. A contrario, nous entendons des témoignages comme celui de cette maman de Colombes (Hauts-de-Seine). Dans l’école maternelle que fréquente son enfant, 3 professeurs des écoles étaient affectés le même jour en remplacement de 3 collègues absents. Cela ne s’est jamais vu depuis 20 ans à l’école maternelle Jean Jaurès sud. Y compris le 7 janvier 2011, lorsque 5 institutrices étaient malades en même temps. Autre exemple, le village de Montsalès (Aveyron) a défrayé la chronique en janvier 2011 : suite à une épidémie de gastroentérite, l’inspection a pu trouver successivement 12 enseignants remplaçants qui s’y sont succédé en 15 jours de temps !

L’Inspection Académique du 93 indique que la moyenne départementale d’absence s’établit à 8%. Les chiffres sur Epinay-sur-Seine sont bien supérieurs, puisqu’ils s’établissent à 750 jours depuis la rentrée 2010 hors longues maladies et congés maternité, avec des pointes journalières régulières à 15% (soit 40 postes sur 276 classes au total dans la ville). Ces chiffres ont été confirmés aux parents lors d’une délégation auprès de l’Inspecteur d’Académie le 2 février 2011. L’Inspection a reconnu l’écart entre les chiffres communaux et ceux du département du point de vue des absences, Epinay sur Seine étant l’une des villes les plus touchées par le phénomène dans le département. Dès lors, se pose la question des critères de répartition des moyens entre les communes de Seine-Saint-Denis, et au-delà, au niveau national. En Rhône-Alpes, par exemple, une institutrice remplaçante nous a affirmé être restée inoccupée durant deux mois.

Sur cette question, nous souhaitons que les parents d’élèves aient accès en toute transparence aux chiffres réels d’enseignants remplaçants semaine par semaine et école par école.


Les enfants d’Epinay-sur-Seine ne reçoivent pas, de la part de l’Education Nationale, le même traitement que les autres enfants du territoire français. Nous avons le sentiment que nos enfants subissent une discrimination de la part de l’Etat. Il ne nous appartient pas de dire si cette discrimination est volontaire ou non. Pour le moins, le gouvernement ne tient pas compte de certaines particularités objectives lorsqu’il s’agit de répartir ses moyens.

Première particularité d’Epinay-sur-Seine, l’explosion des effectifs d’élèves du premier degré sur la période 2005-2009, supérieure à 10%, tandis que la moyenne départementale s’établit à 5,5%, ce qui est déjà élevé.

Seconde caractéristique, la Commune est située en bordure occidentale du département, à la frontière des Hauts de Seine et du Val d’Oise. Cette situation géographique excentrée entraîne régulièrement le désistement d’enseignants remplaçants sur des postes pourtant existants. Du point de vue de l’attractivité de la Ville, l’absence de métro n’est pas compensée par l’existence de deux stations ferroviaires.

Troisième caractéristique, qui concerne la Seine-Saint-Denis dans son ensemble, 47% des enseignants du premier degré du département demandent le mouvement c’est-à-dire leur mobilité à l’intérieur ou à l’extérieur du département (contre 39% de moyenne nationale). Jusqu’à ¼ des enseignants du premier degré (25,45% en 2010) demandent chaque année à quitter le département. Moins de 18% des demandes sont satisfaites. Sur les 82% restant, combien d’enseignants venant de province, coupés de leur famille et de leurs amis, isolés et donc plus vulnérables ? Combien d’enseignants déprimés ou stressés, plus exposés à des arrêts de travail ? Enfin, pour une population enseignante quasi exclusivement féminine, l’Education nationale n’anticipe pas les congés pathologiques alors qu’aujourd’hui ils concernent de nombreuses femmes. Sur la ville, il s’est trouvé, depuis septembre 2010, au moins deux cas d’arrêt de ce type non remplacés sur plusieurs jours voir plusieurs semaines.

Ces particularités, propres à l’Education nationale, justifieraient à elles seules un nombre de personnel plus important que dans d’autres territoires. Ceci sans parler des caractéristiques de la population spinassienne, qui mériterait des efforts plus soutenus pour l’éducation des enfants.

Certes 22 écoles de la Ville sur 28 sont en ZEP. L’Etat affiche une politique de discrimination positive en faveur des élèves des quartiers défavorisés. Qu’en est-il vraiment ?

Le nombre d’enfants par classe est théoriquement moins élevé dans les écoles en ZEP que dans les autres écoles. Dans les faits, lorsqu’un enseignant est absent et n’est pas remplacé, ses élèves sont répartis dans les autres classes. Les effectifs atteignent régulièrement 30 enfants et plus en maternelle. Ou même … 58 comme le 7 janvier dernier où la directrice de l’école maternelle Jean Jaurès sud s’est elle-même chargé de « faire classe ». La faiblesse des effectifs par classe constitue un facteur de réussite scolaire pour les enfants du premier degré des quartiers populaires. Ceci est de nouveau démontré par une étude menée en 2010 dans les pays de l’OCDE et intitulée « regards sur l’éducation. Les indicateurs de l’OCDE ».

- A la rentrée 2010-2011 en Seine-Saint-Denis, les crédits de l’accompagnement éducatif ont été diminués d’un quart.

- Sur les 24 postes RASED ouverts à Epinay sur Seine, seuls 17 sont pourvus et 7 postes d’enseignants spécialisés ne sont pas occupés. 2 postes seront supprimés en septembre 2011.

- Les deux médecins scolaires de la circonscription sont en arrêt maladie dont un en congé longue maladie depuis plusieurs mois. Ainsi, depuis janvier 2010, plus aucun médecin scolaire n’est présent sur la Ville

- Les moyens consacrés à la scolarisation précoce diminuent fortement à Epinay-sur-Seine : jusqu’en 2002, entre 150 et 200 enfants de moins de 3 ans (2 ans ½ et plus) étaient scolarisés sur une dizaine d’écoles de la Ville. Sur plusieurs écoles, cela correspondait à un effectif complet d’une classe d’environ 20 enfants. Cette scolarisation défendue par certains enseignants est un enjeu important de socialisation pour des enfants dont les familles sont socialement fragiles. Pour la première fois, depuis la rentrée 2010, des enfants de 3 ans ne sont pas accueillis sur la Commune (des écoles trop éloignées de leur lieu d’habitation leur ont été proposées et de ce fait refusées par les parents)


La réduction des moyens de l’Education nationale va se poursuivre, ce qui nous fait craindre une aggravation des inégalités subies par les enfants de la Commune.

Lors du Comité Technique Paritaire du 11 janvier dernier, 20 postes ont été supprimés en en Seine Saint Denis dans le 1er degré alors que le nombre d’élèves devrait augmenter de plus de 2160 (à comparer, par exemple à l’augmentation de 23 postes d’enseignants en Seine et Marne pour une augmentation de 1 487 élèves).

Avec la diminution d’1/3 des effectifs et l’affectation des maîtres E et des maîtres G dans les classes, Les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté (RASED) sont précarisés et menacés de suppression, ce qui va affecter en tout premier lieu des communes comme la nôtre.

D’une manière plus globale, sur la Seine Saint-Denis, en 1998, après une action concertée démarrée par les parents avec le monde enseignant et des élus, l’Etat avait décidé d’un vaste plan de rattrapage pour les établissements scolaires, plan qui avait notamment pris la forme de 3 000 postes en plus, affectés à notre département. Or, aujourd’hui, ces postes ont tous été supprimés, année après année. Un plan de ce type devrait être décidé aujourd’hui.

Très attachés à l’école publique, évidemment très concernés par l’avenir de nos enfants et au-delà par l’avenir des enfants de notre ville et du département, attachés à la belle devise ‘’ Liberté, Egalité, Fraternité ‘’, nous sommes confiants dans la prise en compte par la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité de notre requête.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos respectueuses salutations.



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