Une classe à double niveau ?
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n article du Monde du 13 février 2007 se faisant le relais d’une étude de l’Iredu et rapportant quelques propos d’une collègue d’Epinay-sur-Seine en charge d’une classe à double niveau :
Enquête
Les classes à double niveau font débat
LE MONDE | 13.02.07 |
Mauvaise nouvelle pour les parents : les classes à double niveau (CP avec CE1 par exemple) ne seraient "jamais efficaces" sur le plan pédagogique, mais au contraire "néfastes" dans certaines conditions. C’est ce que conclut une étude menée par deux chercheurs de l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu) de Dijon, Christine Leroy-Audouin et Bruno Suchaut. L’école d’antan à classe unique, comme dans le film documentaire Etre et avoir (2002) de Nicolas Philibert, serait donc loin d’être un modèle idéal d’enseignement.
Or les classes élémentaires comptant plusieurs niveaux sont bien implantées en France : elles représentent près du tiers de l’ensemble des classes élémentaires, soit un peu moins de 30 % des élèves, selon les dernières statistiques du ministère de l’éducation nationale - qui datent de 1998. Contrairement à ce qui se pratiquait par le passé, ces classes se limitent principalement à deux niveaux et ont gagné les villes. On en compte un peu moins de 60 % en zone rurale et plus de 40 % en zone urbaine, selon les chercheurs de l’Iredu.
Catherine Possémé, enseignante dans une école primaire d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), s’est portée volontaire pour prendre en charge une classe double mélangeant des élèves de CE2 et de CM1. A 45 ans, forte d’une solide expérience, l’exercice ne lui fait pas peur. Côté inconvénient, elle relève que "cela demande plus de travail personnel pour la préparation des cours et beaucoup d’organisation". Ainsi, pendant un cours aux élèves de CE2, il faut donner du travail personnel à ceux du CM1 et inversement. Ensuite, "il est plus difficile, faute de temps, de se consacrer à un élève en particulier", déplore-t-elle. Avantage en revanche, la classe est "plus vivante, les échanges entre les élèves plus nombreux". Ceux de CM1 sont sollicités pour aider les plus jeunes de CE2.
Les cours de français et de mathématiques se font en séparant les deux niveaux. En revanche, l’histoire-géographie, les sciences, le sport et la chorale s’enseignent en commun. Si les parents des élèves de CE2 étaient plutôt satisfaits de voir leur progéniture mélangée avec les grands, ceux des CM1 craignaient que leurs enfants ne soient tirés vers le bas. Catherine Possémé a su les rassurer. "Le choix des élèves s’est fait sur l’autonomie, explique-t-elle, mais sans toutefois trop déséquilibrer les autres classes."
Les professeurs, parce que cela leur donne davantage de travail de préparation et pose des problèmes d’organisation, sont souvent hostiles aux classes doubles. Les parents, parce qu’ils craignent une moins bonne prise en charge de leurs enfants, sont aussi réticents. Pourtant, jusqu’alors, tous les travaux réalisés sur les classes à cours multiples ne pouvaient que les rassurer : les résultats des élèves y étaient équivalents, voire parfois meilleurs que ceux des enfants fréquentant des cours simples.
L’étude de l’Iredu, qui a porté sur 132 classes élémentaires de l’académie de Bourgogne, sème le trouble. Les chercheurs ont étudié les progressions scolaires des élèves de CE1 et de CM1 selon qu’ils allaient dans une classe simple ou double. Pour les CM1, le type de cours n’influence pas significativement les résultats des élèves. En revanche, ceux de CE1 progressent moins bien en classe double qu’en simple.
L’étude distingue ensuite les élèves placés arbitrairement dans une classe à double niveau, parce que c’est la seule qui existe à l’école, de ceux où l’équipe pédagogique a pu choisir les élèves affectés en cours double, l’école disposant d’autres classes d’un seul niveau. Bonne surprise, quand les élèves sont sélectionnés, les effets négatifs des cours doubles s’annulent, "sans doute parce que les élèves qui y sont affectés sont ceux qui sont le mieux armés pour y réussir, en raison d’une plus grande autonomie", estime Bruno Suchaut. En revanche, quand ils sont mis arbitrairement dans ces classes, leurs progrès sont moins bons, y compris cette fois-ci pour les CM1.
Au ministère de l’éducation nationale, on considère que l’enquête de l’Iredu, réalisée dans une seule région, ne peut être généralisée au niveau national ; on s’en tient donc aux conclusions des travaux précédents. "Les classes à double niveau représentent sans doute la meilleure modalité pédagogique", affirme-t-on dans l’entourage du ministre, Gilles de Robien.
Mais les chercheurs de l’Iredu persistent et signent. Ils expliquent leurs résultats par le fait que "les classes à plusieurs cours ne sont plus une spécificité rurale", et invoquent également "les progrès réalisés en matière de modélisation statistique". Consultable pour partie en ligne, cette étude devrait bientôt être publiée dans la Revue française de pédagogie.
"La question mérite d’être approfondie en analysant les résultats des élèves en fonction de l’organisation pédagogique dans les classes à double niveau", estime quant à lui Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp-FSU, le principal syndicat des enseignants du premier degré. Si les résultats de l’Iredu étaient confirmés, cela impliquerait d’en tirer des conclusions sur l’organisation des classes en limitant les cours doubles.
Iredu : un résumé de l’étude est consultable en ligne sur www.u-bourgogne.fr/iredu.
Martine Laronche
Article paru dans l’édition du 14.02.07.
Quelques réflexions :
J’ai été amené lors de ma carrière à mener plusieurs années des classes à double, voire triple niveau :
d’abord par hasard :
J’ai débuté en 1986 sur un remplacement dans une école (Jules Verne à Villetaneuse) qui fonctionnait expérimentalement de la PS au CM2 avec des classes de cycle (CE2-CM1-CM2).
Certes, nous n’étions pas toute la journée avec ce groupe d’élèves que nous nommions "groupe de référence" puisque des séances de 45 minutes étaient menées en décloisonnant et des groupes de besoins (classe d’âge et compétences équivalentes) étaient formés. Les groupes de référence permettaient de mener les actions du projet d’école, les projet de classes et les projets d’élèves : apprentissage coopératif, autonomie, esprit d’initiative, rigueur, ... sans lesquels ce groupe ne pouvait vivre. Que d’apports pour chacun du CE2 au CM2.
Les moments d’entraînements systématiques que nous nommions "travail en contrat" permettaient à chacun des élèves de mener ses progrès à la fois grâce à l’étayage du maître, grâce aux apports des autres élèves pour les plus jeunes, grâce au travail nécessaire de re-formulation pour les plus grands lorsqu’ils aidaient leurs cadets ou grâce encore aux outils indispensables à ce type de travail en autonomie.
J’ai donc participé au mouvement en redemandant cette école.
ensuite par nécessité :
Très souvent, et le contraire serait étonnant, les effectifs des élèves d’une école ne se répartissent pas équitablement et harmonieusement selon les classes d’âge : folle démographie scolaire.
Lors du conseil des maîtres de juin, une projection est faite et l’équipe pédagogique essaie d’établir et de répartir les groupes classes en fonction des moyens humains.
Plusieurs options sont alors possibles : l’équipe choisit soit de conserver les divisions classiques en dépit des déséquilibres d’effectifs, soit de "sacrifier" un ou plusieurs niveaux et les effectifs y sont plus lourds, soit encore de créer des "classes à double niveau" à effectif un peu allégé mais qui permettent un équilibre sur l’ensemble de l’école ou du groupe scolaire. Peuvent ensuite apparaître, dans quelques rares écoles, d’âpres négociations concernant l’attribution des classes aux enseignants. Il arrive quelques fois que ces classes à plusieurs cours soient attribuées à de jeunes enseignants inexpérimentés ou à d’autres non volontaires.
Ces modifications de structure d’école peuvent avoir lieu à la rentrée scolaire même, suite à un changement de la carte scolaire ou suite à une variation de la population scolaire pendant les vacances d’été.
C’est ainsi que plusieurs années, après avoir préparé pendant l’été, en prévision d’une année de cours simple, j’ai du accepter de prendre en charge une classe à double niveau, souvent un CM1/CM2 évitant ainsi à de plus jeunes collègues non volontaires cette prise en charge.
enfin par choix :
L’expérience, le recul et la réflexion pédagogique aidant, je me suis trouvé à rechercher ce type de classes et à proposer systématiquement au conseil des maîtres ce type de structure.
J’y retrouvais la possibilité de réinvestir mon expérience à l’école Jules Verne de Villetaneuse, une proximité de l’élève plus forte que dans une classe "traditionnelle", et peut-être une pédagogie se rapprochant de mes valeurs (travail en cycle, coopération, entraide, tutorat, initiative des élèves, projets, ...)
Quelles sont les conditions de réussite pour les élèves et leur enseignant dans ces classes ?
une équipe pédagogique, un conseil des maîtres qui font leur ce projet de classe à niveau multiple : en effet, ces choix purement comptables au départ, souvent pris pour le confort du plus grand nombre, ne peuvent rester sur ce registre. L’école s’engage dans un regroupement à visée essentiellement pédagogique et les maîtres chargés des classes multi âges, souvent jeunes ou inexpérimentés ont besoin de l’appui de tous. Echanges de services, mutualisation, échanges de pratiques, conseils, accompagnement, organisations en cycles... pourront aider l’enseignant du double niveau.
un effectif qui ne devra pas être trop lourd : cet objectif finira peut-être de déséquilibrer la structure de l’école, quelques collègues auront sûrement du mal à accepter que le double niveau « soit à 20 ou 22 » alors que leur effectif sera de 28 à 30 élèves.
Au sein même de la classe à double niveau, l’équilibre entre les effectifs est important. L’enseignant a besoin d’une dynamique de groupe pour enseigner et cela n’est possible que lorsque le nombre d’élèves est suffisant, surtout si le groupe en autonomie, plus important, sollicite l’attention du maître.
un choix réfléchi de l’affectation des élèves dans ces classes : cette réflexion à propos de l’affectation est un facteur essentiel pour éviter l’installation de « filières » selon les niveaux, pour éviter de donner l’impression aux parents en particulier qu’il s’agit d’un niveau « au rabais » pour le groupe le plus âgé, pour éviter de priver les autres classes d’élèves « moteurs » et autonomes. La tentation de constituer une classe la plus homogène possible amènera peut-être le conseil des maîtres à affecter dans cette classe des élèves dont les niveaux de compétences sont proches. Le danger est d’amalgamer les deux niveaux. Les écarts devront, à mon avis, être les plus importants possibles. On choisira par exemple des CM1 autonomes, certes, mais dont les compétences sont à construire ou ayant des besoins particuliers avec des CM2 autonomes, pleins d’initiatives, dont les compétences sont installées. Ou encore des CE1 dont l’apprentissage de la lecture est en cours de construction et des CE2 lecteurs autonomes.
un local et du mobilier scolaire adaptés : des espaces identifiés pour les regroupements de l’ensemble du groupe classe, pour le travail en autonomie d’un groupe, une bibliothèque accessible au rangement efficace, des fichiers de travail individuel libres d’accès, des ordinateurs en fond de classe, des tables libres pour la correction et le travail en pédagogie différenciée, des outils ressources pour tous, du mobilier modulable permettant le travail de groupe mais aussi un rassemblement par niveau de classe, ...
des outils élèves pensés et pratiques : cahiers, classeurs, ressources, manuels, fiches autocorrectives, plans de travail, ... devront participer à l’acquisition de l’autonomie des élèves. Une logistique sans faille ...
des repères forts pour les élèves : ils devront savoir quand le maître est disponible pour eux ou s’ils ne doivent pas le déranger pendant la séance d’apprentissage avec l’autre niveau. L’emploi du temps sera connu des élèves, un point d’appui fort. Le tableau de la classe organise le travail et fixe les consignes pour chaque groupe, on peut imaginer que les deux panneaux latéraux soient exclusivement réservés aux différents niveaux.
la structure CE1/CE2 est difficile à mener : à cheval sur deux cycles, des compétences d’élèves proches, il y a un risque de ne pas faire véritablement entrer les CE2 dans le cycle 3 ; on préférera un CE1/CM1 ou CE1/CM2, structures qui obligeront à une véritable pédagogie différenciée.
deux classes ou plus à double niveau dans l’école : ceci permettra aux maîtres des regroupements pédagogiques, des échanges de service et évitera un surcroît de travail en échangeant préparations, supports élèves, matériel, ...
faire vivre la classe à la fois comme un groupe unique et comme deux niveaux bien distincts : les apprentissages distincts relatifs aux niveaux des élèves sont essentiels pour préserver leurs spécificités. Cependant des temps d’enseignement « en commun » permettront à la fois de faire vivre le groupe et d’ « économiser » l’énergie de l’enseignant : vie de classe, EPS, arts, projets de classe, ... bien sûr, mais pourquoi pas histoire, géographie, sciences, si les progressions des niveaux ont été pensées de manière spiralaire, c’est-à-dire en reprenant des notions et des connaissances en les affinant et en y développant des compétences spécifiques aux niveaux de la classe.
Les ateliers que pratiquent les enseignants de maternelle sont des modalités pédagogiques qui peuvent s’adapter à l’école élémentaire. Profitons de cette expérience, ils permettent une véritable pédagogie différenciée. Les travaux individuels sont également une piste pour ces classes.
Partagez vos expériences de gestion de classes à niveaux multiples, proposez vos documents, réagissez dans les forumes ...
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